"Ils n’avaient aucune idée de rien, la seule chose à laquelle ils tenaient, c’était que Vernon [le personnage principal du roman, un ex-disquaire sans le sou, ndlr] doive plus de deux ans de loyer, raconte Virginie Despentes. Et tu leurs dis : ‘Mais pourquoi […] ? C’est très rare de rester deux ans sans se faire expulser, dans un logement en plein Paris !’ Et la première chose que Vernon faisait après s’être fait expulser, […] c’était aller chercher son RSA. Mais qui fait ça ? »
"Ca, ça n’existe pas"
Pour l’écrivaine, les choix scénaristiques de la production reflètent une "vision du prolétariat par la bourgeoisie". "Non seulement les [pauvres] se foutent dans la merde pendant deux ans sans bouger, sans bosser et en étant irresponsables, en ne payant pas ce qu’ils doivent, mais en plus leur première réaction quand ils se font virer de quelque part, ces enculés, c’est d’aller demander de l’argent à l’Etat. […] Mais ça, ça n’existe pas dans la vraie vie, tu inventes un comportement en tant que bourge," affirme l’auteure de Baise-moi (Florent Massot, 1994).
Les différences de points de vue entre Virginie Despentes et la metteuse en scène Cathy Verney auraient mené au départ de la romancière : "Au bout de trois mois, ça s’est délité. Elle, en plus, c’est la sœur d’un très haut placé de Vivendi ; très, très proche de Bolloré. Ca, je l’ai compris quand on a commencé à travailler, et tu te rends vite compte qu’il n’y a pas de discussion possible ; toi, tu vas partir, et elle va rester faire ce qu’elle veut. Et c’est ce qui s’est passé."
Gilets jaunes et #MeToo
Au cours de l'entretien, l'auteure livre son opinion sur plusieurs sujets de société, dont le mouvement des gilets jaunes, qu’elle perçoit comme "la prise de parole des oubliés". "Ca faisait longtemps que les gens n’avaient pas dit : ‘On arrête les conneries’ et là, ils l’ont dit très clairement. [La situation dans les régions] est pire qu’il y a 20 ans. Donc cette révolte, c’est bien," déclare la jurée du Goncourt, bien qu’elle redoute "la présence de l’extrême-droite dans la rue et la façon dont elle tire parti de tout ça."
Quant au mouvement #MeToo, la romancière, dont l’essai King Kong Théorie (Grasset, 2009) est reconnu comme une œuvre féministe majeure, souligne d’abord que cette vague a permis de "réaliser à propos d’un milliard de trucs que [les femmes] ont vécu, qu’en fait c’est pas nous qui sommes gourdes". Puis elle s’interroge sur les suites à donner, notamment sur le recours à la judiciarisation des procédures : "La police ou les tribunaux pour décider de tout, bon… Peut-être qu’on ferait mieux de se demander quel genre d’instance on pourrait installer. [...] On peut pas dire que la prison ait déjà été une réponse aux problématiques masculines et elle ne sera jamais la solution pour un violeur."