C’est un lieu préservé du temps et de la clameur du monde. C’est un livre qui l’est tout autant. Une prestigieuse "public school" anglaise (c’est-à-dire un pensionnat privé), le collège pour jeunes filles d’Hastings, non loin des lieux où, au XIe siècle, la bataille du même nom porta à la tête du royaume d’Angleterre Guillaume de Normandie. Un écrivain, Eric Haviland, qui sous le nom de Frédéric Haverland signa voici plus de trente ans deux romans chez Luneau Ascot. Et l’un avec l’autre, le plus inactuel et troublant des livres.
Tout commence par la fin. Celle de l’innocence d’Eleanor, lorsqu’elle découvre en rentrant dans sa chambre d’étudiante sa camarade Cynthia pendue à un tuyau de chauffage. Eleanor est une fille qui ne se refuse rien, et surtout pas de vivre. Fiancée à Rody, le capitaine de l’équipe de rugby d’Hastings, meilleure amie d’Anna, tout aussi douée qu’elle, favorite de la direction de son école, tout lui semble promis. Cynthia elle, était de celles que l’on ne remarquait pas. Ni laide ni jolie, ni très sociable ni farouche, pas toujours de très bonne humeur, sa mort volontaire est une énigme lancée au visage de chacune des filles d’Hastings et d’abord de sa voisine de chambre, Eleanor. Dans cet univers feutré marqué par la permanence des choses, rien ne devait arriver. Et pourtant…
Eric Haviland mène son affaire avec une sobriété élégante. Si l’on songe, bien sûr, au Virgin suicides de Jeffrey Eugenides (et à l’adaptation qu’en fit Sofia Coppola), c’est aussi du côté des fictions piégées de Kazuo Ishiguro que campe résolument ce beau roman. Ces jeunes filles au cœur du désastre, ce paysage après la bataille ne seront pas oubliés. Olivier Mony