A priori, Vincent Duluc n’a rien à faire dans cette page. Certes l’homme écrit, depuis trente ans même, mais essentiellement à propos de football, et surtout dans les pages du grand quotidien sportif national. Et à l’écouter manifester son "besoin du sport pour que l’on ne croie pas [qu’il est] écrivain", il y a peu de risque de s’y tromper. Mais à le lire, c’est autre chose : "Je suis un enfant de l’ennui et nous sommes une famille nombreuse. Longtemps j’ai porté les stigmates de cette langueur, j’ai attendu mon tour et espéré la lumière sous les couches de l’adolescence et de la province…" Ces lignes-là ne sont-elles pas évidemment celles d’un écrivain ? Alors oui, entre ici Vincent Duluc, et osons à notre tour écrire que si un jour la littérature a vendu Blondin à L’Equipe, aujourd’hui L’Equipe lui prête Duluc.
Un gosse qui trouve les mots
Longtemps donc, le futur journaliste et écrivain s’est ennuyé. C’était les années 1970 et Vincent grandit entre son pays bressois d’origine, son Lyon d’adoption et la trouée verte des gueules noires de l’AS Saint-Etienne, entre boums foireuses, Neil Young et Dominique Rocheteau. Il raconte tout cela, cet ordinaire d’un âge difficile, l’adolescence, dans le très beau récit d’initiation qu’est Un printemps 76.
Jamais sans doute il n’aurait osé prendre ainsi la parole à la première personne du singulier, sacrifier à un regard oblique porté sur le monde (sur le sien au moins) s’il n’y avait été encouragé par le succès tant critique que public de sa première tentative vraiment littéraire, sur George Best, Le cinquième Beatles (Stock, 2014). Dans le rôle de la bonne fée lui permettant de vaincre ses inhibitions littéraires, son éditeur et ancien confrère, Benoît Heimermann. Cette fois-ci, retour à soi, donc. Ce fils cancre d’un prof de lettres pour qui "la lecture était le baromètre de ce que l’on fera plus tard" avoue que cela ne s’est pas fait sans violence. Il y parvient guidé par un sens très sûr de l’émotion, de la juste distance à son sujet. Sans doute en la matière, le journalisme tel qu’il le pratique, école de la concision, n’a-t-il pas été inutile. On le croit fatigué de sa vie itinérante de stade en stade, à l’heure où son sport favori verse dans la vulgarité marchande. Il dit qu’il n’en est rien, que "quand on a grandi en province en attendant le dimanche, on est content que ce soit dimanche tous les soirs". Adolescent, il préférait écouter des albums "live" (et ce fou de rock et d’Angleterre en a écouté beaucoup) plutôt que des enregistrements en studio, car cela lui donnait l’impression qu’il se passait enfin quelque chose. Si son livre est si beau, c’est parce qu’il y regarde moins l’épopée des Verts qu’il n’est regardé par elle : un gosse qui s’ennuie et qui a les mots pour le dire. Olivier Mony
Vincent Duluc, Un printemps 76, Stock, Prix : 18 euros, 215 p., Sortie : 13 janvier, ISBN : 978-2-234-07968-7