Redynamisation de "Libretto", création d'une collection de littérature française "Qui vive", relance des essais et documents, passage au numérique... Le groupe Libella, qui compte cette année sur une progression de 5 % de son chiffre d'affaires (3,5 millions d'euros en 2010) avec Buchet-Chastel, Phébus, Noir sur blanc, Le Temps apprivoisé et la collection de poche "Libretto", se redéploie autour de son noyau dur : la littérature générale. Alors que sa diffusion-distribution passera de Volumen-Loglibris à CDE-Sodis le 1er janvier 2012, sa présidente, Vera Michalski, explique sa stratégie.
Livres Hebdo - Pourquoi avez-vous quitté Volumen pour le CDE ?
Vera Michalski - La volonté de rebattre les cartes à un certain moment. Ce changement de diffuseur-distributeur n'est pas du tout l'expression d'un mécontentement. Je tiens à remercier les équipes, aussi bien celles de Volumen que celles de CDE-Sodis, pour leur attitude positive, car cette opération qui peut se révéler déstabilisante se passe bien. Nous étions contents de Volumen, nous avions tissé des liens d'amitié avec leurs représentants. Je n'ai pas décidé sur un coup de tête, mais j'ai eu le sentiment que le CDE-Sodis était plus adapté à ce que nous faisons, c'est-à-dire des nouveautés qui doivent devenir des ouvrages de fond, avec une image forte en librairie. Avoir des livres qui durent, c'est l'objectif de Libella depuis sa création.
Les problèmes de distribution de Volumen l'année dernière ont-ils pesé dans votre décision ?
Non, ces difficultés ont été longues et complexes, mais sont résolues depuis un certain temps.
Les libraires demandent des remises supplémentaires et une refonte des relations commerciales. Ils en appellent même aux éditeurs afin qu'ils reprennent la main sur ces questions. Quel rôle pouvez-vous jouer ?
Je pense que la politique commerciale s'élabore dans un dialogue. La plupart des éditeurs travaillent avec des commerciaux de grande qualité. A chacun son métier. Je ne sais pas si c'est vraiment le rôle de l'éditeur de reprendre le contrôle là-dessus. Tout le monde est conscient que l'on est à un moment charnière et qu'il est important que tous les intervenants communiquent, dans une optique solidaire. On ne peut pas se permettre une guerre de tranchées. Les éditeurs ont aussi un travail à mener pour recentrer leur fonds, ne plus inonder le marché, ne pas insister sur des mises en place excessives.
Comment traduisez-vous ces exigences chez Libella ?
Notre production est stable mais évolue. Ainsi, nous venons d'engager un nouvel éditeur, Jean-François Delage, pour les essais et documents dont la production était interrompue depuis quelques mois. Notre objectif général est d'être davantage à l'écoute de nos lecteurs et de choisir de bons textes.
Depuis la rentrée, vous proposez, via la plateforme Immatériel, un catalogue numérique qui s'étoffe peu à peu, à des prix environ 25 % inférieurs à ceux du papier...
Notre choix s'est porté sur Immatériel, pour un contrat d'un an, parce que cela nous paraissait répondre à nos besoins de flexibilité et d'indépendance. Avec Narges Temimi, arrivée l'an dernier chez Libella pour s'occuper du numérique, nous avons préparé graduellement ce catalogue. La première salve de titres comprend des livres de la rentrée et des livres du fonds des mêmes auteurs, de la littérature française et de la littérature étrangère. A partir de 2012, nous proposerons des thématiques.
Comment analysez-vous l'évolution du marché numérique en France ?
Je partage la conviction de bon nombre d'éditeurs, le numérique est une chance, un enrichissement. Les deux marchés continueront à exister et nous allons toucher de nouveaux lecteurs. Je crois que c'est un tournant historique et un moment très positif dans la profession. Partout, les choses bougent, aux Etats-Unis, bien sûr, en Suisse et en Pologne aussi, deux pays où nos maisons existent.
Faudra-t-il baisser les prix ?
Cela dépendra de l'évolution de la TVA. Si on ne se dirige pas vers une réduction au plan européen, ce sera difficile. Mais nous avons déjà intégré le différentiel de TVA dans les prix du numérique.
Le poche avec "Libretto", la littérature française avec "Qui vive", la non-fiction : faut-il voir là les axes de développement de Libella ?
Oui, Libella est un ensemble de maisons de littérature générale. Celle-ci reste notre principale secteur d'activité, nos chiffres sont d'ailleurs en progression cette année, ce qui est rare dans le climat actuel. Les romans de Jean-Philippe Blondel et Joseph O'Connor se vendent très bien, l'opus de Daniel de Roulet sur Fukushima continue sur sa lancée. Sous la direction de Lionel Besnier, "Libretto" conforte sa place parmi les collections de poche de qualité, sans perdre de pertinence dans ses orientations éditoriales. Nous voulons l'installer comme la collection de poche du groupe, et non plus seulement celle de Phébus. La collection de littérature étrangère de Marc Parent chez Buchet-Chastel, comme celle de Daniel Arsand chez Phébus, et les éditions Noir sur blanc, qui célèbrent en 2012 leur 25e anniversaire, partagent aussi ce goût pour l'ouverture au monde et la problématique du voyage, il est donc logique que certains de leurs livres rejoignent "Libretto". La collection "Qui vive" enrichit le domaine de littérature française chez Buchet-Chastel, sans le remettre en cause puisque la collection de Pascale Gautier a une belle visibilité. Pour les essais et documents, la production sera ouverte, avec une dizaine de titres par an. La collection "Musique" est très active, notamment avec Les grands violonistes du XXe siècle, de Jean-Michel Molkhou. Le domaine "Ecologie" est très apprécié par les spécialistes et le grand public. Nous allons célébrer en 2012 le 10e anniversaire des "Cahiers dessinés", auxquels je tiens beaucoup. Nous lancerons bientôt une revue nouvelle consacrée au dessin. Elle sera, comme "Les cahiers dessinés", animée par Frédéric Pajak. Notre maison de loisirs créatifs, Le Temps Apprivoisé, modernisée par Valérie Gendreau, reste très présente.
Plutôt que de nommer un directeur dans chaque maison, vous avez confié aux éditeurs un domaine précis, revenant même à une direction bicéphale pour Phébus. Est-ce l'organisation optimale pour le groupe ?
Ma philosophie est de laisser les éditeurs assez libres de leurs choix. Nous en discutons, bien sûr, et aussi avec Michel Boutinard Rouelle, le directeur général du groupe. Je garde un contact privilégié avec tous car je ne voudrais pas d'une organisation trop hiérarchisée. L'essentiel est que les éditeurs travaillent en bonne intelligence et pratiquent la collégialité. D'où l'intérêt d'avoir aujourd'hui plus de passerelles entre Phébus, "Libretto", Buchet-Chastel et Noir sur blanc que par le passé.
Qu'en est-il de votre activité en Pologne ?
Nous sommes très présents. Nous avons eu la grande satisfaction de voir Marian Pilot, un auteur de notre maison Wydawnictwo Literackie, gagner le prix Nike, le principal prix littéraire polonais. Trois des sept titres de la dernière sélection étaient publiés chez nous, ça n'est pas si mal. Je suis aussi très heureuse que le best-seller 2010 en littérature polonaise soit l'un de nos auteurs, Katarzyna Grochola, dont nous avons vendu 180 000 exemplaires. On l'appelle, là-bas, l'Anna Gavalda polonaise ! C'est un argument lorsqu'on essaie de vendre ses droits à l'international.
Où en est votre projet de Maison de l'écriture, à Montricher, en Suisse ?
Le prix littéraire Jan-Michalski, dont c'est la deuxième édition, sera décerné fin novembre prochain. Les travaux du bâtiment progressent, nous pourrons accueillir les auteurs au premier semestre 2013. Ce sera une petite cité consacrée à l'écriture, avec un auditorium d'une centaine de places pour des lectures ou des concerts, un lieu pour des expositions et une bibliothèque d'environ 85 000 livres centrée sur la littérature européenne, dans toutes les langues. Il y aura aussi des résidences d'auteurs. Mais ce projet, qui est financé par la fondation Jan Michalski pour l'écriture et la littérature, est totalement distinct de la maison d'édition. En ce moment, il prend beaucoup de mon temps.