Dans cette affaire, une salariée avait été engagée en CDI par une chaîne de librairies du Nord en qualité de gestionnaire de base de données. Son employeur lui avait notifié son licenciement pour faute grave, caractérisée par une appropriation frauduleuse de marchandises appartenant à l'entreprise en vue de les revendre et par une violation de l'obligation d'exclusivité et de loyauté en proposant ses services sur internet (Cour d'appel, Douai, 31 Mai 2024 – n° 22/01023).
La question ne portait pas tant sur les faits reprochés que sur la manière dont son employeur les avait découverts. La salariée contestait ainsi la recevabilité de certaines pièces aux motifs qu'elles avaient été obtenues par un procédé déloyal. Ces pièces correspondaient à des captures d'écran d'annonces pour la vente d'objets et pour une offre de services à domicile. Les annonces avaient été publiées sur les sites du Bon Coin et de Vinted avec le visage de la salariée en vendeuse.
Repérer fortuitement les annonces ?
Cependant, la salariée faisait valoir que l'employeur n'avait pas pu repérer fortuitement ces annonces, comme il l’indiquait, et que leur découverte ne pouvait résulter que d'une surveillance ou d'une recherche volontaire, dans un contexte de réorganisation des services support.
À ces arguments, l’employeur répondait de manière confuse. Dans la lettre de licenciement, il évoquait une découverte « tout à fait fortuite ». Puis, dans ses écritures, il variait dans ses explications concernant l'obtention de ces informations. Dans un premier temps, il déclarait avoir constaté, de manière tout à fait fortuite, que la salariée proposait par voie d'annonce son intervention dans le cadre de services à la personne.
Il ajoutait avoir ensuite trouvé les annonces relatives à la vente d'objets « en poussant plus avant les vérifications ». Dans un second temps, l’employeur affirmait que ces éléments lui avaient été transmis par un collaborateur qui avait découvert les faits en recherchant un article, puis qu’il avait ensuite pris l'initiative de mener sa propre enquête.
Démarche délibérée
Pour la Cour, l'employeur ne justifiait donc pas dans quelles conditions il avait eu accès à ces annonces et il ne rapportait pas la preuve que ces éléments avaient été obtenus de manière licite et loyale. Elle en concluait qu’en l'absence d'une découverte fortuite établie ou d'une intervention avérée d'un tiers, l'employeur n'avait pu accéder à ces informations que dans le cadre d'une démarche délibérée de sa part.
Elle en concluait que l'initiative prise par l'employeur de procéder à une recherche devait s'analyser en une surveillance des pratiques de la salariée en dehors de son activité professionnelle. Or, la Cour estimait non seulement que l'employeur ne justifiait pas de la mise en oeuvre d'une telle surveillance, mais surtout qu’il ne fournissait aucune explication susceptible de légitimer une telle démarche qui portait nécessairement atteinte au respect de la vie privée de la salariée.
Respect de la vie privée
La Cour en concluait que les captures d'écran litigieuses n'avaient pas été remises à l'employeur par un tiers ou collaborateur, qu'elles n'avaient pas été réalisées suite à un signalement émanant d'un tiers ou d'un collaborateur et ne résultaient pas d'une découverte fortuite et que donc elles provenaient d'une démarche volontaire de l'employeur devant s'analyser en une surveillance des agissements de la salariée relevant de sa vie personnelle.
La mise en oeuvre de cette surveillance par l'employeur, en l'absence de toute information préalable donnée en ce sens à la salariée et dans un cadre dépassant l'activité professionnelle de l'intéressée, portait atteinte au respect de la vie privée de la salariée et était illicite.
En conséquence, la Cour a estimé qu’en l’absence de preuve, l’employeur ne pouvait utilement faire valoir que la salariée n'avait pas contesté s'être livrée à la vente d'objets provenant de l'entreprise et avoir cherché à développer une activité de service à la personne ; estimant que cette reconnaissance partielle des faits manifestée dans le cadre d'une procédure disciplinaire initiée sur le seul fondement d'éléments de preuve obtenus par l'employeur au moyen d'un procédé illicite et déloyal, ne pouvait justifier, seule, le bien fondé de la décision de licenciement.
La Cour considérait alors que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et condamnait l’employeur permettant ainsi au furet, dérobeur d’objets, de continuer à courir.