Instantanés de Justice

La salle de comparutions immédiates n’est pas plus petite que les autres. Elle le devrait pourtant pour rendre sa petite justice contre les petites gens.

Jo est jugé pour vol et tentative de vol. Il s’est accaparé trois flacons de parfum dans une grande enseigne qui ont tous été restitués emballés, prêts à être remis en rayon et trois cartes postales aux prix d’un euro et vingt centimes. À la lecture de « la prévention », qui énonce les faits reprochés au prévenu, on demeure interdit. Qu’a-t-il fait d’autres pour justifier une arrestation, une garde à vue de 48 heures et une comparution devant ce tribunal ? Rien.

Pour commencer l’audience et conformément à ce que la loi lui commande, la présidente demande s’il y a dans la salle des personnes qui souhaitent se constituer parties civiles. Un homme se lève, il représente la grande enseigne qui l’a donc missionné pour perdre une demie journée et gagner quoi ? La présidente lui donne la parole et l’homme en costume noir et aux chaussures qui valent un smic commence par expliquer l’exceptionnel conditionnement des produits de sa marque de rêve.

La présidente n’a pas l’habitude d’interrompre les parties civiles qu’elles appellent usuellement « victimes » mais elle a trop de respect pour son tribunal, s’en estime garante en tout cas, et ne permet pas qu’il soit entrecoupé d’intermèdes publicitaires. Elle lui fait confirmer que l’homme qui comparait aujourd’hui a bien été arrêté à la limite du magasin et que les parfums ont été replacés là où ils avaient été pris. « À combien évaluez-vous votre préjudice ? » L’homme répond un chiffre qu’il serait indécent de reporter et que la présidente n’a pas même écouté.

Il aurait préféré voler du papier pour écrire des lettres, des nouvelles, des idées…

Elle se tourne vers le prévenu qui attire sa sympathie plutôt que ses foudres. Elle s’intéresse à l’autre vol retenu, des cartes postales qu’on a retrouvées dans son sac et qui appartenaient à la papeterie d’à côté. Pourquoi voler des cartes ? Jo aime écrire, il aurait préféré voler du papier pour le remplir, des lettres, des nouvelles, des idées, non pas un roman il ne faut pas exagérer, mais il avait besoin de remercier le peu de gens qui l’avaient aidé. Ces cartes postales leur étaient destinées.

Est-ce qu’on peut retenir l’état de nécessité pour quelqu’un qui vole des cartes postales ? Jo n’est pas Jean Valjean qui vole un pain, ça ne se mange pas les cartes postales. Mais après tout, ne sont-elles pas des nourritures de l’esprit ? C’est ce que plaide l’avocat, une exonération de responsabilité pénale prescrite aux termes de l'article 122-7 du Code pénal en faveur de « la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Jo a besoin d’écrire de manière structurelle, pour tenir debout, une soif impérieuse comme la soif. Et puis Jo avait besoin de dire merci, c’était impératif pour maintenir des liens sociaux déjà déséquilibrés, un minimum vital, voilà où voulait en venir l’avocat, à ce qui est vital. Est-ce disproportionné alors qu’il s’agit d’un euro et vingt centimes ? L’avocat poursuit, reconnaissant le vol mais insistant sur son caractère minime n’entraînant qu’un faible trouble à l’ordre public.

Le procureur ne l’entend pas de cette oreille

Ce qui est disproportionné selon lui, c’est d’avoir requis des forces de l’ordre en nombre pour interpeller Jo, le placer en garde à vue, donc solliciter encore des agents et procureurs, l’avoir transporté au tribunal, laissé enfermé 20 heures encore et le faire comparaitre directement devant trois juges qui – l’avocat essaie de ne pas parler pour eux – auraient certainement été plus utiles à consacrer du temps à d’autres cas.

Le procureur ne l’entend pas de cette oreille, l'article 122-7 instaure certes un fait justificatif au même titre que cette légitime défense connue de tous, mais l’état de nécessité requiert d’abord l’existence d’un danger actuel ou imminent que la commission de l’infraction a précisément pour but de conjurer. Il rappelle la condition de proportionnalité des moyens employés au regard de la menace. « En quoi est-ce que ce vol serait de nature à neutraliser le danger ? Était-il le moyen le plus adéquat pour atteindre cet objectif ? Non, bien sûr. »

Décision sans surprise

Le procureur demande aux juges de condamner. Il relève que l’homme est en récidive, qu’il existe déjà des mentions sur son casier, que le trouble à l’ordre public existe indépendamment du montant en cause.

Le tribunal se retire pour délibérer. L’avocat qui a plaidé pour une décision un peu en dehors des clous, pour le moins extensive du droit mais pourquoi pas, ne manifeste pas beaucoup d’espoir. Il estime pourtant que les juges n’encourraient pas l’opprobre à relaxer son client, qu’ils s'en glorifieraient plutôt.

Le tribunal rend finalement une décision sans surprise, c’est rarement surprenant un tribunal. Les juges ont décidé d’une déclaration de culpabilité suivie d’une dispense de peine, le tout accompagné d’un regard un peu désolé.

Jo l’a probablement pris comme une caresse.

Laure Heinich

Olivier Dion - Laure Heinich

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