La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024 a certainement été l’évènement artistique marquant de l'été. Ses organisateurs et participants nous ont offert un formidable spectacle fait d’énergie, de diversité, de grâce, de joie et d’inventivité.
La plupart des créations qui se sont succédé sont protégées par des droits fondés sur la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique, droits voisins, dessins et modèles, marques et brevets) de sorte qu’on ne peut les copier ou les reproduire sans l’accord de leurs auteurs. Mais, parfois, certains, profitant des interstices laissés par le Code de la propriété intellectuelle, parviennent à s’approprier à peu de frais la création d’autrui. C’est pour lutter contre ce phénomène que la jurisprudence française a développé le concept de parasitisme.
Par une phrase particulièrement bien ciselée, l’article 1382 du Code civil de 1804, désormais recodifié à l’article 1240, énonce la règle selon laquelle « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». De ces quelques mots, la Cour de cassation a déduit qu’engageait sa responsabilité civile l’opérateur économique qui se plaçait dans le sillage d’un autre, sans qu’il soit nécessairement son concurrent, afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Des objets notoires de l'œuvre de Hergé
Par exemple, dans un arrêt du 26 mai 2011, la Cour de cassation a eu à connaître du litige opposant la société Moulinsart, titulaire des droits d’exploitation de l’œuvre de Hergé, à l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’étude des convergences de l’œuvre du dessinateur belge avec celles de Jules Verne et de Conan Doyle. Elle a approuvé la cour d’appel qui avait condamné cet auteur pour parasitisme après avoir estimé que celui-ci, dont la couverture des ouvrages reproduisait de manière quasi identique des objets notoires de l'œuvre de Hergé et des personnages propres à son univers, créant l'impression que la couverture était composée de dessins réalisés par Hergé, s’était indument approprié l'univers artistique de ce dernier.
Dans un précédent arrêt rendu le 22 octobre 2009, la Cour de cassation avait jugé que la reproduction entre guillemets mais sans indication de source dans un quotidien à grand tirage de l'interview publiée par un journal spécialisé et menée à partir d'un investissement intellectuel et matériel constituait, en raison de la captation des renseignements ainsi obtenus par un confrère, un comportement parasitaire.
Frontières ténues
Mais cette notion de parasitisme, qui se trouve à la croisée des chemins entre les droits de propriété industrielle et intellectuelle, qui allouent un droit privatif à leur titulaire, et le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, n’est pas sans poser des problèmes de frontières. Il est en effet toujours délicat de considérer que constitue une faute le fait de s’inspirer d’un produit développé et mis sur le marché par un acteur économique, en dehors de tout droit de propriété intellectuelle, alors que, dans une société démocratique, les idées sont de libre parcours. Le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne peut donc, à lui seul, constituer un acte de parasitisme.
Dans deux arrêts importants rendus le 26 juin dernier (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535 ; Com., 26 juin 2024, pourvois n° 22-17.647 et n° 22-21.497), la chambre commerciale de la Cour de cassation a entendu clarifier les contours de cette faute civile qui peut conduire son auteur à devoir lui allouer des dommages et intérêts évalués en prenant en considération l'avantage indu qu’il s'est octroyé.
Elle y a précisé que seule une valeur économique individualisée et identifiée peut être protégée au titre du parasitisme. Ainsi, un opérateur économique qui souhaite agir sur ce fondement pour protéger un produit ou un service doit démontrer, d’une part, la valeur économique individualisée et identifiée de ce produit ou de ce service, d’autre part, la volonté du tiers de se placer dans son sillage.
Plus spécialement, dans le premier arrêt, la chambre commerciale approuve une cour d’appel qui avait rejeté une demande fondée sur le parasitisme après avoir relevé que le produit prétendument parasité était composé de différents clichés, disponibles en droit libre sur Internet, qu’il avait été commercialisé sur une période limitée, n’avait jamais été mis en avant comme étant emblématique et qu’il s’inscrivait dans un genre alors en vogue, que le thème n'était pas caractéristique de l'univers des produits de la société, et que le décor invoqué constituait une combinaison banale d'images préexistantes. La cour d’appel avait ainsi fait ressortir que la société demanderesse n’avait pas établi l’existence d’une valeur économique identifiée et individualisée.
Masque de plongée Decathlon
Dans le second arrêt, la chambre commerciale était saisie d’un litige opposant les sociétés Decathlon et Intersport dans lequel la première reprochait à la seconde d’avoir commis des actes de parasitisme en commercialisant un masque de plongée subaquatique non seulement identique d'un point de vue fonctionnel mais aussi fortement inspiré de l'apparence d’un masque devenu un produit phare de son catalogue.
La Cour de cassation a donné raison à la société Decathlon en considérant que, dès lors qu’était établie la valeur économique identifiée et individualisée du masque Décathlon, caractérisée par sa grande notoriété, la réalité du travail de conception et de développement, le caractère innovant de la démarche conduite, ainsi que les investissements publicitaires, tandis que son concurrent ne justifiait d'aucun travail de mise au point ni de coût exposés relatifs à son propre produit, il était démontré la volonté de la société Intersport de se placer dans le sillage de la société Decathlon pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par le produit et, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel.
Notoriété acquise et investissements consentis
Ainsi, s’il est possible de commercialiser une copie plus ou moins servile d’un produit ou d’un service non protégé par des droit de propriété intellectuelle, c’est à la condition de ne pas profiter de la notoriété acquise par l’auteur de la version originale ou des investissements consentis par celui-ci.
Le sillage laissé par le chevalier argenté remontant la Seine n’est sans doute pas celui d’une appropriation des œuvres ayant inspiré les différents tableaux qui ont cadencé la cérémonie d’ouverture. Il est au contraire celui du génie créateur qui a su, par son audace, son habileté et son inventivité, les sublimer dans une performance artistique évoquant à la fois l’esprit des Jeux olympiques et la trace laissée dans le monde par l’histoire et la culture françaises.