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Vendre des liseuses en librairie ?

Le coin liseuses et la borne de lecture à La Procure, Paris. - Photo Olivier Dion

Vendre des liseuses en librairie ?

Dédiés à la lecture de texte, les liseuses sont bien adaptées à la vente en librairies. Les nouvelles versions sont facilement programmables sur le site de leur revendeur, qui peut ainsi conserver leurs utilisateurs, grands consommateurs de livres. Reste, pour les libraires qui s’intéressent à ce marché, à trouver sa rentabilité.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 01.11.2013 à 10h33 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

Noël, il y aura bien quelques liseuses sous les sapins, parmi d’innombrables tablettes et smartphones à tout faire. Cybook Ocean (par le français Bookeen), Kobo Aura (par le canadien Kobo), PocketBook Touch Lux (par l’ukrainien PocketBook), Sony Reader PRS T3 (par le japonais Sony) : les principaux concepteurs de ces machines à lire disponibles en France ont créé de nouveaux modèles pour la fin de l’année, et sont avides de partenariats dans le monde du livre. Face aux tablettes en couleurs à peine plus chères, ces appareils n’intéressent plus que de grands lecteurs, qu’un écran en noir et blanc ne rebute pas. Les librairies ou les rayons livres des grandes surfaces restent les lieux les plus appropriés à leur commercialisation.

«Si les libraires ne font pas l’effort de s’y mettre, même symboliquement, le marché va s’installer techniquement et commercialement sans eux.» Philippe Touron, Le Divan, Paris- Photo O. DION

 

 

Communiquer.

Le point de vente y trouve aussi son intérêt, même s’il doit vendre ce produit sans marge. Les liseuses « nous permettent de matérialiser en magasin notre offre de livres numériques présente sur notre site et de communiquer avec nos clients sur notre activité dans ce domaine », explique Philippe Touron, directeur du Divan (Paris, 15e) et des librairies Gallimard. Carrefour, Chapitre, Cultura, Decitre, Doucet, Gibert Joseph, Gibert Jeune, La Fnac, La Procure, Le Divan, Furet du Nord, Relay H, Sauramps, etc., ont commandé ces nouveaux modèles à quelques unités ou à plusieurs milliers d’exemplaires en prévision des fêtes.

 

«Nous présentons des Cybook à côté d’une borne de lecture depuis décembre 2012 et nos ventes numériques doublent chaque mois.» Catherine Martin, La Procure, Paris- Photo OLIVIER DION

Le modèle de référence est à 130 euros, avec un écran 6 pouces tactile, éclairé, une connexion Wi-Fi et une autonomie de plusieurs semaines (voir p. 16). Tous ces produits sortent des usines d’E Ink, l’industriel taïwanais qui a racheté les brevets de cette technologie. Bookeen et PocketBook préparent des versions haut de gamme, à la suite de Kobo dont l’Aura HD (170 euros, écran 7 pouces) marche bien. « Son succès nous a surpris, il existe vraiment une clientèle pour ce segment », souligne Jean-Marc Dupuis, directeur général Europe et Moyen-Orient de l’entreprise canadienne.

 

 

S’y mettre.

Vu de la librairie, l’économie de ce marché est toutefois incertaine, mais il s’agit de ne pas laisser la place à Amazon et à son Kindle Paperwhite, également renouvelé. « Si les libraires ne font pas l’effort de s’y mettre, même symboliquement, le marché va s’installer techniquement et commercialement sans eux », prévient Philippe Touron, qui vend au Divan des ebooks depuis 2008, et des liseuses depuis presque aussi longtemps, au rythme « d’une centaine par an, avec des pics pour les fêtes et à l’approche de l’été », plutôt à des seniors. « Il faut être prêt si le marché décolle », ajoute Christophe Desbonnet, directeur marketing et commercial du Furet du Nord (quelques centaines de Bookeen vendues). «Si nos clients veulent du numérique, ce serait prendre un risque énorme de le leur refuser », résume Matthieu de Montchalin, patron de L’Armitière (Rouen) et président du SLF.

 

Le modèle fermé d’Amazon s’est imposé à ses concurrents, qui l’ont adapté et ont créé un univers… semi-ouvert. Les liseuses sont maintenant préprogrammées sur le site de la librairie qui les vend. « Nous scannons le numéro de série, et nous branchons le site du libraire qui nous a commandé l’appareil sur l’icône librairie de l’écran d’accueil », explique Alexandre Shabaev, représentant de l’ukrainien PocketBook en France. Le français Bookeen fait de même, via ses revendeurs ePagine et Numilog, ou en direct avec Relay et Carrefour, sur le modèle du partenariat de Kobo/Fnac, ou Sony/Chapitre.com.

Le lecteur n’est quand même pas complètement coincé : les fichiers achetés dans une autre librairie numérique sont lisibles sur ces appareils et inversement, contrairement au Kindle. Mais le futur propriétaire d’une Touch Lux achetée chez Decitre, ou d’une Nolim (en fait une Cybook Ocean) chargée dans un caddy de Carrefour n’aura aucun intérêt à se compliquer la vie : toutes les librairies numériques disposent quasiment du même catalogue, et au même prix en raison des contrats de mandat et de la loi.

Cette fidélité légèrement contrainte est inévitable : les acheteurs de liseuses sont de grands lecteurs, « le cœur de notre clientèle », insiste Philippe Touron. Il serait incohérent de les laisser se perdre sur Internet au profit d’un concurrent plus visible parce que mieux référencé. C’est aussi un réel service pour le lecteur, simplifiant l’accès à l’offre dans l’intérêt bien compris du libraire. « Nous présentons des Cybook installés à côté d’une borne de lecture depuis décembre 2012, et nos ventes numériques doublent chaque mois », se félicite Catherine Martin, directrice du marketing, de la diffusion et d’Internet de La Procure à Paris (300 appareils vendus). « La liseuse propose une version embarquée de la librairie, visible et bien identifiée sur cet appareil mobile, alors que sur Internet, elle est faiblement repérable », explique Valérie Collin, directrice générale de TEA, société initiée par Decitre avec le soutien de Cultura. Chez Chapitre.com, les ventes numériques ont aussi décollé depuis 2011 et le partenariat avec Sony et son Reader, partenariat « très important », insiste Corentin Bergeron, directeur du numérique.

 

 

Quels prestataires ?

Chapitre.com mis à part, tous les libraires qui ont franchi le pas du numérique utilisent un prestataire auquel ils délèguent tout ou partie de la gestion de leur site. Ils proposent en général une librairie numérique en marque blanche, adaptable au site de vente de livres papier si la librairie en possède déjà pour faire un panier commun. Le catalogue est accessible sur une liseuse, et aussi décliné en applications pour smartphone et tablette.

 

« La gestion du site revient à 80 euros par mois, auxquels il faut ajouter 9 % sur les ventes », indique Stéphane Michalon, directeur du développement d’ePagine, filiale de Tite Live. Elle propose des Pocketbook et des bornes à installer en magasin (à La Procure, notamment). Sur les 70 adhérents à cette solution, la moitié ont testé la vente de liseuses, dont une poignée activement (Le Divan, Furet du Nord, Sauramps, L’Alinéa, la Librairie de Paris…). ePagine gère aussi les ventes numériques du réseau Paris Librairies.

Autre acteur historique du numérique, Numilog propose une solution avec les mêmes caractéristiques, baptisée Club Reader, « sans frais de gestion la première année », insiste Denis Zwirn, son P-DG, qui n’indique pas la commission de prestation sur les ventes pour les années suivantes. Numilog propose la Cybook Odyssey.

Créé en 2012, TEA a d’abord été rodé chez ses actionnaires (Decitre et Cultura), avant d’être retenu par Système U, puis quelques indépendants (Montabardon, Cheminant, Bisey). Le prestataire a conclu un accord avec PocketBook, inclus dans un pack destiné aux indépendants : 10 liseuses à la marque de la librairie, le site et un an de service et formation, le tout pour 1 990 euros, explique Valérie Collin. Il faut ajouter les frais sur les ventes, environ un tiers de la remise.

Fraîchement arrivé aussi, Leslibraires.fr, émanation de Dialogues, et à l’origine très orienté vers le papier, propose un module de vente d’ebooks, retenu par 16 des 70 adhérents. « Nous prenons 9 % de commission sur les ventes de livres numériques, comprenant le service après-vente », explique Thomas Le Bras, chef de projet.

 

 

Partenariat.

Côté fabricant, Bookeen privilégie les grands comptes, à l’image du partenariat avec Relay, et tout récemment avec Carrefour. Dans ce contrat, Bookeen a abandonné sa marque au profit de Nolim, celle de Carrefour dans le livre numérique, pour laquelle il assure toute la prestation technique. TEA a aussi conclu un partenariat très étroit avec PocketBook, dans le développement des fonctionnalités de la librairie numérique. Kobo, toujours associé à la Fnac mais sans exclusivité, cherche aussi d’autres revendeurs de son matériel. « Il faut sortir de la discussion sur le partage de la remise et trouver le moyen d’apporter aux libraires notre savoir-faire sur Internet », explique Jean-Marc Dupuis. Mais le libraire canadien inquiète ses homologues français, qui craignent de lui abandonner ses meilleurs clients.

 

 

 

Quel taux de remise ?

Le taux de remise est l’autre souci. Il oscille entre 25 et 30 %, dont il faut déduire la rémunération du prestataire, 9 % en général. Il reste au libraire environ 17 à 18 % de marge, sur un livre numérique moins cher que le papier, dont la remise est supérieure d’environ 20 points. Il n’y a certes pas de stock, de manutention, de frais de transport, mais le compte n’y est pas. Au revoir là-haut, avec le Goncourt pressenti, rapporte ainsi 7,65 euros en version papier au libraire (à 36 % de remise), mais 2,60 euros seulement en numérique (à 18 % de marge restante). « Oui, il y a un problème de chaîne de valeur, confirme Matthieu de Montchalin. Dans le numérique, le libraire a besoin d’un intermédiaire technique. S’il doit en supporter seul le coût, il y aura un vrai problème de modèle économique. Il faut travailler les conditions de vente des éditeurs. » En attendant, sans se prononcer sur la qualité des différents prestataires, le président du SLF rappelle que le projet M03T pourrait apporter des solutions, s’il est mené à son terme. Et il compte aussi sur le programme Prêt numérique en bibliothèque (PNB), un marché plus prometteur. D’autant qu’il est inaccessible à Amazon. <

 

 

Mon métier : libraire numérique

 

Avec d’autres méthodes, il s’agit du même objectif : faire découvrir des livres.

 

Bernard Strainchamps appelle systématiquement les éditeurs ayant participé à l’«offre éclair» quotidienne d’Amazon sans faire la même proposition à tous. «C’est dans la loi», insiste-t-il.- Photo OLIVIER DION

C’est simple, en fait, de faire le libraire numérique : il suffit de recréer, avec des bases de données, le bon vieux métier de l’ancêtre papier qui brasse en permanence ses tables et travaille ses étagères pour faire acheter à ses clients des livres qu’ils ne cherchaient pas. Le problème, ce sont justement les bases de données. « Nous révisons toutes les notices », annonce d’emblée Bernard Strainchamps, le libraire de Feedbooks responsable du catalogue francophone, qui compte quelque 40 000 références - sans les ebooks d’Hachette, que le diffuseur du groupe refuse toujours de lui fournir. Ancien bibliothécaire, qui sait ce que classer veut dire, puis fondateur de Bilbliosurf, il est intarissable et parfois franchement cruel sur la qualité des métadonnées fournies par les distributeurs.

Cette librairie 100 % numérique, qui vend aussi des titres en anglais (233 400), italien (19 700), espagnol (13 400) et allemand (12 900), dispose sans doute d’une des meilleures expériences dans le secteur. Le cœur du travail repose sur l’indexation, qui permet de multiples tris thématiques sur le principe d’une recherche à facettes, que les utilisateurs d’Electre connaissent bien : à partir d’un mot-clé d’une notice, le lecteur repart sur les titres de la même catégorie, ou d’un sujet voisin, qu’il peut affiner ensuite. La qualité du catalogage détermine une partie des performances de la librairie, et ce devrait être un élément important dans le choix du prestataire des libraires indépendants. Le principe est le même que pour la vente de livres papier sur Internet, déjà plus ancienne, mais les bases ne sont pas encore homogènes. L’enrichissement de contenu, avec des interviews, blogs, liens vers les critiques, dossiers thématiques en fonction de l’actualité, est aussi primordial pour l’animation de la librairie électronique, comme sortir du seul classement meilleures ventes-nouveautés - lesquelles restent aussi très importantes.

Encore faut-il obtenir de l’information à temps à leur sujet. « La communication des éditeurs et des diffuseurs s’améliore, mais elle reste imparfaite par rapport au papier », constate Nicolas Rouault, chargé de la librairie de Cybook. La mise à l’office des ebooks au jour annoncé connaît aussi des ratés, y compris pour des nouveautés importantes, alors que c’est rarissime dans le papier. De même que la diffusion des promotions, note Bernard Strainchamps, qui appelle systématiquement les éditeurs ayant participé à l’« offre éclair » quotidienne d’Amazon sans faire la même proposition à tous. « C’est dans la loi », insiste-t-il.

 

 

Norme EDI.

Avec les nouveaux lecteurs, ce travail n’est pas immédiatement rentable. « Ils commencent par télécharger un nombre incroyable de livres gratuits », s’amuse Catherine Martin, à La Procure. Côté fournisseurs, c’est la facturation qu’elle juge indispensable d’améliorer. « Il faut arriver à une norme EDI comme dans le papier. Pour le moment, il nous arrive de renoncer à traiter des incohérences, car la somme en jeu ne vaut pas le temps passé. » Laisser un prestataire de service gérer entièrement le site apparaît logique dans ces conditions, mais c’est au prix de la personnalisation qui fait précisément la réputation d’une librairie. <

 


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