Poète, essayiste, voyageur, musicien, homme de scène, éditeur et l’on en passe, André Velter poursuit à un rythme de jeune homme son travail artistique, protéiforme et jaillissant, avec une énergie qui force l’admiration, et qu’on a parfois un peu de mal à suivre. Le voici qui présente en même temps trois ouvrages, chacun témoignant de belles amitiés avec d’autres créateurs d’expressions différentes : musique et peinture. Tous portés par la même richesse d’inspiration, la même foi en leur art, la même volonté de décloisonner les disciplines.
Comme il l’a déjà fait à plusieurs reprises avec Bartabas et Zingaro, Velter, dans Jusqu’au bout de la route, conjugue poésie et musique, dans un livre spectacle vivant, portant témoignage des quatre ans de récitals qu’il a donnés avec le violoncelliste Gaspar Claus, maître de l’improvisation. Le recueil se veut un vaste périple déstructuré, jusqu’aux Himalayas. Même principe pour Tant de soleils dans le sang, appliqué à la guitare flamenco et au cante jondo de Pedro Soler. Mais un troisième complice s’invite dans l’aventure, Ernest Pignon-Ernest, avec un frontispice et sept "poèmes-tracts" à afficher dans la rue, comme autant de manifestes rimbaldiens : "Vivons dangereusement/Prenons tous les risques possibles/Si nous vieillissons/Nous n’y serons vraiment pour rien".
Le peintre niçois Ernest Pignon-Ernest est l’un des plus proches amis de Velter. Il était donc logique qu’un jour l’un écrive sur l’œuvre de l’autre. Leur livre prend l’allure d’un vaste déroulé chronologique, depuis 1962 et Guernica, l’un de ses premiers dessins durant la guerre d’Algérie, inspiré bien sûr de Picasso. Jusqu’à ses créations les plus récentes présentées l’année dernière lors d’une importante rétrospective au musée des Beaux-Arts de Lille. Le livre est à deux voix. L’artiste commente lui-même ses dessins, les resituant dans leur contexte historique. Ernest Pignon-Ernest est un homme engagé dont le travail, surgissant dans l’espace urbain, montre du doigt, in situ, le chômage, le racisme, la misère, le sort des immigrés, à travers des corps souffrants. Il célèbre aussi les dieux de son panthéon personnel, affichés dans des lieux symboliques : Rimbaud à Charleville, Neruda à Santiago, Genet à Brest, Mahmoud Darwich en Palestine, ou le Caravage à Naples, la ville où l’artiste est le plus "intervenu". Velter, à son tour, explicite la démarche de son ami, et met des mots sur ses dessins. Un dialogue s’instaure, les arts se mêlent, dans ce beau livre-somme sur l’un des plasticiens majeurs de notre temps. J.-C. P.