« Depuis tant d’années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre. » C’est sur ces quelques lignes que s’ouvre Le Consentement (Grasset, 2020) de Vanessa Springora un témoignage aussi court qu’intense sur sa relation d’emprise avec le romancier Gabriel Matzneff alors qu’elle n’avait que 14 ans. Trois ans à peine après la sortie du livre qui a ébranlé l’édition française, Le Consentement est adapté au cinéma par Vanessa Filho avec Kim Higelin et Jean-Paul Rouve. Il est temps d’enfermer « le chasseur » dans un écran.

Empathie totale avec la victime

S’emparer d’une affaire dévoilée récemment, opposant deux personnalités publiques encore vivantes, et lorgner du côté de la fiction plutôt que du documentaire – l’exercice était périlleux. Le carton qui ouvre le film le rappelle : il s’agit d’une adaptation libre, qui raconte une histoire plutôt qu’elle égraine des faits. Libre mais fidèle, tant la reconstitution des dialogues et des scènes du livre sont minutieuses. La voix-off, procédé de mise dans les témoignages, est pourtant absente, comme si, pour Vanessa Filho, il était question de ressentir ce que la jeune Vanessa ressent sans la distanciation qu’induirait une analyse.  

Le livre de Vanessa Springora porte un regard d’adulte sur son expérience de jeune fille, décomposée en parties qui détaillent le processus d’emprise (de la fabrication d’un terrain propice à la réparation). Il commence à la fin, lorsque l’autrice, acculée par son syndrome post-traumatique, prend la plume. Le film de Vanessa Filho prend le contrepied en commençant par la rencontre de Gabriel et Vanessa à un dîner. Il épouse unilatéralement le point de vue de cette dernière jusque dans les mouvements de caméra, arrimés au visage de l’actrice (expressif, face à la mine toujours impassible de Jean-Paul Rouve).

Un anti-Lolita

Cette mise en scène clinique, dénuée d’effets qui pourraient donner des airs romantiques à ce couple asymétrique, ne recule devant rien et s’empare à bras-le-corps de leur intimité, quitte à choquer. Contrairement au milieu de l’édition, représenté comme complaisant et sous le charme de l’écrivain, le spectateur ne peut détourner le regard. N’a plus le droit d’oublier qu’à une époque, des pétitions en faveur de pédocriminels étaient signées et relayées par de grands intellectuels français.  

Dans un extrait d’Apostrophes devenu tristement viral à la suite de la publication du Consentement, un Bernard Pivot amusé lançait à Gabriel Matzneff : « Vous êtes quand même un collectionneur de minettes !». La saillie fait figure de récidive pour le présentateur, recadré par Vladimir Nabokov lui-même lorsqu’il qualifiait la protagoniste de Lolita de « jeune fille un peu perverse ».  Le Consentement est, en un sens, un anti-Lolita, cette figure incomprise de la littérature et du cinéma.