Telle une soldate en littérature, Edna O'Brien ne renonce jamais à dénoncer les crimes commis envers les femmes. Ce combat lui tient à cœur. La grande écrivaine irlandaise s'est rebellée contre les archétypes familiaux, religieux et sociétaux. A 88 ans, elle reprend son bâton de pèlerin hors de sa contrée natale, si présente dans ses romans. Direction le Nigeria, où règne la terreur djihadiste. « La nature humaine était devenue diabolique. » Elle prend ici le visage de l'organisation terroriste Boko Haram, qui sévit sans foi ni loi. Maryam fait partie de leurs proies. Cette adolescente a fait le choix d'être lettrée, et c'est précisément dans son école qu'elle se fait kidnapper avec ses camarades. « J'étais une fille autrefois, c'est fini. Je pue. » Dans le camp, elle subit un endoctrinement et un profond déchirement. « Vous êtes des guerrières. Vous jouerez votre rôle dans le combat. Vous en serez fières. Même si vous mourez. » Maryam meurt d'ailleurs intérieurement lors « d'un viol initiatique ». « J'ai eu l'impression d'être poignardée. Impossible de parler. Nous étions trop jeunes pour savoir ce qui s'était passé. »
Son sort se précise dans « La Maison bleue », ce lieu où elle est condamnée à n'être qu'un morceau de chair. Malgré les horreurs et les humiliations répétées, il reste des lueurs de solidarité. Buki lui offre son amitié, mais elles sont séparées quand Maryam est mariée de force à Mahmoud. Il part guerroyer alors qu'elle se retrouve enceinte. La petite Babby « n'a ni nom ni père. » Dépourvue de repères, Maryam ne sait comment devenir mère. L'heure est à la fuite dans une nature hostile et un environnement violent. Tant la faim que la peur les prennent aux tripes. Elles croient trouver refuge plusieurs fois, mais la souillure et la malédiction les poursuivent éternellement. Objet d'un rejet, la narratrice s'interroge : « Saurai-je un jour le langage de l'amour. Saurai-je un jour de nouveau ce qu'est un foyer » ? Si même sa propre mère refuse d'enterrer la hache de guerre.
A travers ce monologue fracassant, Edna O'Brien offre une voix aux femmes qui n'en ont pas. Sa plume puissante plonge dans la complexité humaine. Elle insuffle à Maryam toute sa force, son courage et ses combats.« Combien je suis vaillante et résiliente. Je suis une survivante. »Le roman relate une tragédie, mais il possède aussi des éclats de lumière. « L'espoir vaut mieux que pas d'espoir. »
Girl - Traduit de l’anglais par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat
Sabine Wespieser
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 21 euros ; 272 p.
ISBN: 978-2-84805-330-1