Depuis Dans l’ombre de Charonne (Mauconduit, 2012), Désirée (scénario) et Alain (dessin) Frappier tracent un chemin singulier dans l’univers du roman graphique. Le couple produit des œuvres engagées, entre autofiction (La vie sans mode d’emploi, Mauconduit, 2014) et enquête appuyée sur le témoignage (le sus-cité Dans l’ombre de Charonne ou Le choix, La ville brûle, 2015, qui revient sur le combat pour le droit à l’avortement).
Leur quatrième ouvrage, hors quelques titres pour la jeunesse, est né d’une rencontre, cette fois avec le Chilien Pedro Atías Muñoz, chez des amis lors du réveillon du 31 décembre 2013. Fils de l’écrivain et journaliste Guillermo Atías (1917-1979), engagé dans la gauche chilienne, Pedro Atías vécut intimement les évolutions du Chili dans les années 1950-1960, jusqu’à la victoire du socialiste Salvador Allende à la présidentielle de 1970, et au coup d’Etat sanglant du général Pinochet qui, en 1973 avec le soutien de la CIA, provoque sa chute et sa mort. Lui-même militant de l’organisation d’extrême gauche MIR, le jeune homme s’exilera en France comme toute sa famille, prenant à rebours le chemin emprunté par le grand-père turc immigré au Chili en 1900.
Remontant le temps, Désirée et Alain Frappier déroulent, entre espoir et mélancolie, la trajectoire de cette jeunesse chilienne qui se confond avec celle du pays. La vie de la famille Atías est rythmée par le cliquetis de la machine à écrire de Guillermo, les vacances à la mer, les études des enfants à l’Alliance française, qui accueille la progéniture des milieux intellectuels francophiles de Santiago. Le récit familial (séparation des parents, apparition d’une demi-sœur) croise les soubresauts du monde (révolution cubaine, événements de 1968) jusqu’au destin tragique du gouvernement d’Unité populaire d’Allende. Fabrice Piault