25 AOÛT - RÉCITS Inde

Aravind Adiga- Photo DR/BUCHET-CHASTEL

Kittur est une petite ville indienne imaginaire, mais on a l'impression de la connaître. De fait, si l'on en croit les précisions géographiques que se plaît à nous fournir Aravind Adiga, c'est une copie miniature de Goa, les junkies étrangers en moins. Un microcosme situé au sud, sur la côte de Malabar, dans l'Etat du Karnataka, où cohabitent les hindous, largement majoritaires, les musulmans, assez en retrait (Ziauddin, le petit voleur, refusera de se laisser embrigader par une vague organisation terroriste), et même pas mal de chrétiens, gravitant autour des écoles héritées de l'époque coloniale portugaise.

Mais surtout, à Kittur comme dans toute l'Inde, le système des castes, bien qu'officiellement supprimé, régit encore les rapports sociaux, le monde du travail, les mariages. Les personnages d'Aravind Adiga sont en majorité des hoyka, des "basses-castes" industrieux qui détestent les brahmanes, présentés comme des bons à rien prétentieux qui ont perdu tout pouvoir économique dans l'Inde nouvelle. On trouve aussi quelques bunts, descendants des anciens seigneurs féodaux, recyclés dans le business. Bien que située durant les années 1984-1991, c'est-à-dire entre l'assassinat du Premier ministre Indira Gandhi et celui de son fils et successeur Rajiv, la réalité dépeinte par l'écrivain indien demeure très actuelle. On ne bouleverse pas en quelques décennies 5 000 ans d'histoire !

Les ombres de Kittur, deuxième livre de l'auteur du génial Tigre blanc (Booker Prize 2008, publié chez Buchet-Chastel), n'est pas exactement un roman, mais une collection de 16 histoires centrées sur des points stratégiques de la ville (la gare, l'école St-Alfonso, le marché au sel...) et sur des personnages emblématiques et attachants, comme "Xerox" Ramakrishna, le bouquiniste photocopilleur qui continue à vendre, au péril de sa vie, Les versets sataniques de Salman Rushdie, toujours interdit en Inde, ou encore George D'Souza, le démoustiqueur, devenu jardinier-chauffeur et homme à tout faire par amour pour la belle, riche et délaissée Mme Gomes, mais qui perdra tout parce qu'il est incapable de rester à sa place. Cette place que les dieux sont censés avoir décidée pour les hommes, et qu'ils doivent tenir.

On retrouve ici tout le talent d'Adiga, sa verve sociale, son regard sans concession sur son pays, et notamment l'extrême férocité qui règne entre ses compatriotes, même les plus humbles. En Inde plus qu'ailleurs, on est toujours l'inférieur de quelqu'un. Et même Murali, le brahmane devenu communiste, n'y peut rien changer.

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