avant-portrait

Une bonne Mayenne

Aurélien Bellanger. - Photo catherine hélie/Gallimard

Une bonne Mayenne

Son premier roman, La théorie de l’information, fut l’événement de la rentrée voici deux ans. Son deuxième confirme qu’Aurélien Bellanger est bien un romancier antimoderne et contemporain.

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Par Olivier Mony,
avec Créé le 04.07.2014 à 03h04

Au début, il n’y a rien. Ou plutôt Laval, la Mayenne et sa difficulté d’être. Aurélien Bellanger y naît voici trente-quatre ans. Il n’y vivra pas. Juste y passera, dans la ferme de son grand-père, toutes ses vacances depuis lors. Il se souvient s’y être beaucoup et merveilleusement ennuyé. N’échangerait cet ennui contre rien au monde et se demande aujourd’hui encore "comment il est possible de ne pas savoir réparer un vélo".

Un jour, il n’y a pas longtemps, il apprend que la ferme familiale est sur le tracé de la future ligne à grande vitesse Ouest. Ces choses-là suscitent parfois des jacqueries, plus rarement des romans. Aurélien se souvient avoir imaginé, durant l’écriture de La théorie de l’information, un épisode "à la Gaston Leroux" au cours duquel un TGV disparaissait en rase campagne. Il fera ses premières études exploratoires en même temps que Réseau ferré de France… "Il y a une grande inertie de la Mayenne à cet égard. Depuis l’aménagement de la Bretagne qui marque le triomphe du gaullisme territorial, l’autorité de Paris est assez peu remise en cause. Pourtant, on assiste bel et bien à la dissolution terminale, au terme d’un long processus, de la notion de terroir." Le roman est en marche, il en connaît la gare de départ, distingue celle d’arrivée. Il y aura donc, dans un village qui a mieux à faire que résister aux envahisseurs, un capitaine d’industrie qui rêve d’apothéose, un préfet à la retraite, un archéologue, un vieil aristocrate, le souvenir d’une femme, une société secrète et même Jacques Foccart ("exemple absolu et fascinant de cynisme politique, la face noire du gaullisme"). Tout un petit monde au crépuscule est agité de sursauts. Ce doit être la France…

Il faudrait rendre obligatoire la lecture de L’aménagement du territoire. Au moins à tous les élus, parlementaires, conseillers généraux et régionaux, tous ceux qui valident des tracés de LGV qui leur sont complaisamment conseillés par la technostructure, ceux qui s’échinent, au nom d’une introuvable réforme territoriale, à bouleverser les grands équilibres ; qu’ils sachent au nom de qui, et surtout de quoi, ils s’apprêtent à le faire. Qu’ils sachent, comme Aurélien Bellanger le sait et l’écrit, "que la campagne n’est pas le lieu des conservatismes, qu’il n’y a pas de nuit des temps".

Le roman pour université

Après La théorie de l’information, le Minitel, Xavier Niel, c’est la deuxième fois qu’il adosse ses fictions à des arpents de ce que, faute de mieux, on appellera le "roman national". Pour lui, c’est avant tout affaire de génération : "J’ai eu une éducation très centrée sur les derniers feux de la réussite industrielle française. Mon imaginaire a été forgé par les grands travaux de Mitterrand, les célébrations du bicentenaire [de la Révolution française, NDLR], etc. De plus, aujourd’hui, la mondialisation a impliqué un tel "décentrement" que prendre la France comme sujet est à nouveau possible." Cette difficulté à forcer ce qu’il appelle drôlement son "idiosyncrasie de petit Français" est sensible jusque dans ses lectures. S’il cite du bout des lèvres Bret Easton Ellis ou Ellroy (ou Le club des Cinq d’Enid Blyton, grâce auquel sa maîtresse de CM1 lui donna le goût de lire…), il s’attarde bien plus volontiers sur Maurice Dantec ("j’ai une fascination pour ses dons massacrés") qu’il compare à Victor Hugo et, bien entendu, sur Houellebecq, à la figure duquel il consacra son premier livre (Houellebecq, écrivain romantique, Léo Scheer, 2010) et dont il dit qu’il lui a sauvé la vie, sur le plan littéraire, du moins. "Il m’a sauvé des miasmes du XXe siècle pour me dire d’aller directement vers le XXIe. Même si, aujourd’hui, son rapport au libéralisme peut me poser problème." De quel salut parle-t-on ? Du triomphe des sciences humaines, du maniérisme, qu’il lit jusque dans l’école Echenoz ou Toussaint ("j’entends tellement l’ironie…").

Cet ancien étudiant de philosophie aime moins les idées, dit-il, que les séductions qu’elles engendrent. Pour lui, qui ne la fréquenta qu’avec circonspection, "l’université, pour laquelle [il a] un immense respect, est une autorité détruite". Son université de substitution, c’est le roman. Le lieu où s’articulent ensemble tous les savoirs. Aurélien Bellanger a fait, dans la vie, toutes sortes de choses : il a été magasinier chez Royal Canin, il a rangé des yaourts dans les rayons d’un supermarché, fabriqué des sas blindés pour des banques. Il est aujourd’hui romancier. Cela ne fait que commencer.Olivier Mony

L’aménagement du territoire, Aurélien Bellanger, Gallimard, 490 p., 22 euros, ISBN : 978-2-07-014607-9. En librairie le 21 août.

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