Yves Lever soupçonnait les inclinations pédophiles du réalisateur. Il a d'abord contacté Louise Rinfret, co-scénariste de son dernier film. Apprenant les faits, elle cherche à contacter la victime, Jean, qui confirme l'histoire. Le témoignage est consigné par écrit et envoyé à l'auteur. Les éditions Boréal, avec Yves Lever, décident de révéler les faits : "Le rôle de l'éditeur n'est pas d'imposer une censure aux auteurs, mais de veiller à ce que circule le travail d'experts dans différents domaines, dans la mesure où ce travail est rigoureux et documenté. En publiant le Jutra du professeur et critique Yves Lever, Boréal offre au public une biographie sérieuse rédigée par un auteur exigeant."
Le témoignage de la victime a été authentifié. Dès l'âge de six ans et sur une période de dix ans, les attouchements sont devenus des actes plus explicites. Dans le livre, Yves Lever raconte que Claude Jutra a eu d'autres relations avec des mineurs de sexe masculin.
Le nom Claude Jutra disparaît des lieux et événements publics
Depuis mardi, les institutions québécoises prennent l'affaire au sérieux. Claude Jutra est un monument. Nommé au César du meilleur film francophone en 1986, meilleur réalisateur canadien en 1971, prix spécial aux British Awards en 1958, il a réalisé une trentaine de films et donné son nom aux "César" du Québec, les prix Jutra. Dorénavant, la cérémonie annuelle récompensant le 7e art québécois ne s'appellera plus Jutra. L'organisme Québec Cinéma a décidé de modifier le nom de la soirée de gala. La ministre de la Culture et des Communications du Québec, Hélène David, s'est félicitée de cette décision. Par ailleurs, elle a demandé à la Commission de toponymie de contacter les municipalités qui ont rendu hommage d'une manière ou d'une autre au réalisateur. Certaines villes ont déjà annoncé qu'elles allaient débaptiser certaines rues ou lieux publics qui portent son nom. Montréal retirera la statue qui lui est dédiée sur le Plateau Mont-Royal. La Cinémathèque du Québec a décidé de renommer la salle Claude-Jutra.
En revanche, la ministre a confirmé qu'elle n'empêcherait pas la diffusion ou l'enseignement de l'œuvre du cinéaste. Reste à savoir le sort que connaîtront les archives personnelles de Claude Jutra, léguées à l'Université du Québec à Montréal et à la Cinémathèque québécoise. C'est sur la base de ses archives que Yves Lever a pu écrire sa biographie. Il a pu avoir accès à tous les documents, correspondances, journaux et agendas du cinéaste. Mais le service juridique de l'université a bloqué l'accès public à certains documents jusqu'en 2040, en accord avec la Loi sur les archives, la Loi sur le droit d'auteur et la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.