Les biographies de Robespierre constituent de bons indicateurs de la "robespierrite". C’est une pathologie bénigne et très française qui se manifeste au contact de la Révolution. Nous avons ainsi vu, selon les époques, Robespierre impitoyable, admirable, désastreux ou maléfique. Il nous manquait le bouc émissaire. C’est désormais chose faite avec cette biographie signée Jean-Clément Martin.
L’historien, spécialiste de la Révolution, se propose de révéler "la fabrication d’un monstre". Pour lui, l’Incorruptible fut avant tout celui à qui on a fait porter un chapeau un peu trop grand pour sa fureur. Car furieux, il l’était tout de même. La Terreur lui doit un joli coup de pouce. Mais pour en sortir, il a fallu charger la mule. Et Maximilien semblait tout désigné par les faux tièdes pour incarner le feu dévorant de Thermidor. Le 28 juillet 1794, la France supprimait "le tyran". Enfin, c’est comme cela que fut présentée la décapitation de l’homme qui incarnait le Comité de salut public. Pour Jean-Clément Martin, ce tour de passe-passe est orchestré par Barère et Tallien. En désignant Robespierre, ils faisaient oublier leurs propres responsabilités dans l’utilisation intensive du rasoir national et des massacres de Vendée. Comme elle avait séparé l’Eglise et l’Etat avec l’exécution de Louis XVI, la guillotine distinguait le responsable Robespierre des autres coupables du sang qui avait tant coulé au nom de la liberté.
La démonstration de Jean-Clément Martin est impeccable et son livre brillant. Derrière l’invention de la figure diabolique du terroriste se cache un mélancolique. Pourquoi fut-il considéré comme un homme si différent de ses contemporains ? Lui-même participa à sa légende. Mais il n’a jamais voulu celle de sanguinaire. Cet avocat d’Arras sans charisme et sans appui voulait prendre une revanche sur l’histoire et c’est l’histoire qui l’a dévoré. Jean-Clément Martin raconte Robespierre parmi les autres et non comme une figure noire, isolée, démoniaque et poudrée, buvant de l’eau rougie pour signifier sa soif de sang.
L’avantage avec la Révolution, c’est qu’elle supporte encore toutes les interprétations, toutes les envies, tous les bonheurs de se dire que la politique n’est pas morte et que le Grand Soir est toujours pour demain. Que faut-il en tirer pour aujourd’hui ? Sur le plan historiographique, on constate que Robespierre fut surtout déprécié dans les périodes où la gauche était au pouvoir. Et curieusement, c’est un historien assez éloigné du marxisme, ancien professeur à la Sorbonne, qui redonne un peu d’humanité à cette figure nationale qui continue de déranger. Laurent Lemire