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Un pictogramme est-il une contrefaçon d'une photographie?

Un pictogramme est-il une contrefaçon d'une photographie?

Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) vise expressément « Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie » comme éligibles au droit d’auteur.

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 28 avril 2017 permet de rappeler que toute exploitation d’une photographie originale, au sens du droit d’auteur, est répréhensible, a fortiori dans un livre et fût-ce sous forme d’un supposé « pictogramme ».
  
Accords et désaccords

Revenons d’abord sur l’intrigue  de cette affaire archétypale. En 2010, un photographe était à la recherche d’un éditeur pour un projet personnel d’ouvrage regroupant des textes et des photographies en noir et blanc sur le dernier concert donné par un célèbre chanteur à l’Olympia en 1981. Il avait alors rencontré un éditeur, qui n’avait pas donné suite à la proposition.

En revanche, ce même éditeur avait publié un « beau livre » consacré à la vie du chanteur, sous la signature de sa dernière compagne et de son fils, en 2011.

L’auteur des images avait alors déclaré que cet ouvrage reproduisait sans son autorisation deux de ses clichés photographiques et un pictogramme qui en était issu.

Il avait adressé une facture en date du 19 octobre 2011 d’un montant de près de 15000 euros, à l’éditeur, en règlement de la cession limitée du droit de reproduction des clichés, facture restée impayée.

Le 3 septembre 2015, le Tribunal de Grande Instance de Paris condamnait la société? éditrice à un total de 9000 euros.

Reproduction et superposition

L’affaire était alors portée en appel. Devant la cour, le photographe arguait que, même si les photographies contrefaites ont été? transmises à l’éditeur, la contrefaçon est constituée en raison de la reproduction des photographies litigieuses sans son accord.

Il soulignait qu’il était l’auteur de nombreuses photographies du chanteur dont celle le représentant en ombre chinoise saluant le public, un chapeau à la main, environné d’un halo de lumière sous forme de coeur. Il contestait avoir donné un accord ni de reproduction ni transactionnel et affirmait que l’éditeur l’avait menacé de représailles s’il saisissait une juridiction. Il observait que l’éditeur avait, dans un courriel du 2 novembre 2011, postérieur à la mise à disposition du livre, indiqué qu’il souhaitait « discuter des droits de reproduction ».   Il affirmait avoir découvert, après la « clôture de la première instance », une contrefaçon supplémentaire, soit la reproduction d’une photographie du musicien avec, en superposition, l’enseigne lumineuse de l’Olympia annonçant le concert. Il estimait que l’éditeur avait photographié les pages d’un ouvrage où figurait cette photographie et rappelait qu’il l’a sommé en vain de communiquer copie de l’original.

Modifications et dénaturation

Il affirmait avoir caractérisé l’atteinte à son droit moral, invoquant notamment le non-respect du cadrage original de la photographie publiée en double page de l’ouvrage contrefaisant.

Il soutenait, citant un arrêt, qu’il était seul juge de l’atteinte portée à sa création sauf abus de sa part et réfutait la nécessité invoquée de modifier le cadrage en raison de la reproduction sur une double page ainsi qu’il résultait de la publication sans dénaturation de la photographie sur une double page de Paris-Match.

Il excipait en outre de la modification de la lumière et de la suppression des points lumineux des trois projecteurs latéraux, page de gauche. Il indiquait que, sur l'œuvre originale, la lumière des projecteurs avait été travaillée par lui de manière à former un halo en forme de cœur derrière le chanteur. Il affirmait que cette forme de cœur a été totalement altérée par un grossissement de l’œuvre originale et par une altération du contraste ce qui avait supprimé l’effet d’ombre chinoise voulu par lui.

Enfin, il invoquait la dénaturation de son œuvre dans les reproductions des pages 56 (disparition de la dimension scénique) et 92 (superposition de l’enseigne de l’Olympia qui écrase l’artiste et modification de l’ambiance scénique).

Justifications

La société éditrice plaidait, pour sa part, que l’ouvrage publié constituait un hommage au chanteur, composé par sa compagne, assistée d’une salariée de la société et que les photographies avaient été, pour la majorité, tirées de la collection privée de la famille. Elle ajoutait que certains photographes professionnels avaient délivré une autorisation de reproduction à titre gracieux.         
Elle indiquait avoir adressé l’ouvrage au photographe afin de définir la rémunération de la cession des deux photographies. Elle estimait exorbitant le montant alors réclamé? par lui et faisait état de l’échec des négociations. 

L’éditeur affirmait encore que les décalages étaient imposés par le positionnement du sujet principal sur la page, notamment en ce qui concerne la double page de la résolution du problème de la gouttière, et relevait que le but de l’éditeur était de mettre en valeur l'œuvre photographique.

Il clamait aussi qu’un pictogramme serait un dessin figuratif défini comme « une représentation graphique schématique » et non une photographie et qu’il serait protégé s’il recèlait les qualités d’originalité? et d’empreinte de l’auteur. Il déclarait qu’il avait été réalisé par ses services et non par le photographe. La maison d’édition soutenait donc qu’il constituait un dessin dont il n’est pas l’auteur et que, même s’il avait été réalisé à partir de la photographie, le photographe ne pourrait prétendre à des droits. La maison ajoutait qu’il n’était pas interdit de s’inspirer d’une œuvre première, la photographie, pour réaliser une œuvre seconde, le pictogramme, dès lors qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les deux œuvres.

Trop de similitudes

Le magistrats de la cour d’appel ne s’en laissent qu’à demi compter : « les deux pictogrammes produisent la même impression d’ensemble compte tenu de la similitude évidente des éléments dominants que constituent la reprise d’une silhouette identique dans la même position très particulière des bras et des jambes et le contraste entre cette silhouette et le fond sur lequel elle se découpe » et « cette impression d’ensemble n’est pas modifiée par les différences constituées par l’ajout d’un halo sous la silhouette et du dessin d’un micro ainsi que par le changement des couleurs utilisées dans la reproduction arguée de contrefaçon ». Le caractère contrefaisant est donc « établi ».

Ils relèvent qu’il « appartient à la juridiction d’apprécier l’existence d’une atteinte au droit moral de l’auteur ». Or, « la reproduction de photographies en pleine page ou sur une double page peut entrainer, pour des raisons techniques, un décalage étant précisé que ces contraintes sont moindres en cas de reproduction dans un magazine ». Et que « l’examen de l’ouvrage litigieux lui-même permet de constater que le léger décalage de la photographie en double page a permis d’éviter que le sujet principal se trouve dans la gouttière du livre ; que le halo en forme de cœur et l’effet ombre chinoise ont été? conservé ». Et « ce même examen démontre que le cadrage diffèrent de la photographie figurant en pleine page a mis en valeur le sujet principal sans faire perdre l’aspect scénique et ses caractéristiques ».

Soulignons une nouvelle fois que l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) vise expressément « Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie » comme éligibles au droit d’auteur.

Régime particulier

Il faut cependant garder en mémoire que la loi du 11 mars 1957, ancêtre du CPI, exigeait des photographies un caractère artistique ou documentaire pour les faire bénéficier de cette protection. La loi de 1957 a été modifiée par celle du 3 juillet 1985 qui a supprimé ces conditions.

Mais toutes les photographies prises entre le 11 mars 1958 et le 31 décembre 1985 suivent encore ce régime particulier et doivent donc présenter un caractère artistique ou documentaire pour être protégeables. Le caractère artistique se révèle dans un traitement particulier de l’image: angle, lumière, cadrage, etc. Quant au caractère documentaire, il est indéniable qu’il varie, par exemple, selon l’époque à laquelle la photographie est prise en compte. Le cliché de la première communion du pape François révélerait aujourd’hui un caractère documentaire bien plus probant qu’il y a trente ans. Ces deux caractères – artistique et documentaire – ont d’ailleurs donné lieu à de nombreux débats devant les tribunaux. Ces débats ont de moins en moins cours aujourd’hui.
L’originalité est à présent le critère commun requis pour évaluer la protection aussi bien des œuvres photographiques récentes que des autres types de créations.

La condition d’originalité n’est pas expressément contenue dans la loi, mais seulement évoquée en deux occasions. Sa définition est donc difficile à tracer. Il s’agit pourtant, selon la jurisprudence, de l’élément le plus indispensable à une protection par le droit d’auteur.

Les tribunaux, qui se sont très souvent interrogés sur cette notion, l’assimilent à « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». L’originalité, c’est donc la marque de la sensibilité de l’auteur, la traduction de sa perception d’un sujet, ce sont les choix qu’il a effectués qui n’étaient pas imposés par ce sujet. On peut aussi entendre par là l’intervention de la subjectivité dans le traitement d’un thème. L’auteur d’un catalogue de matériel pour restaurateurs s’est ainsi vu dénier en justice une protection par le droit d’auteur au motif que la disposition verticale des objets et l’emplacement des photographies se retrouvaient dans les catalogues d’autres sociétés. Sa création manquait donc d’originalité.

Caractéristiques de l'originalité

L’originalité n’est ni l’inventivité, ni la nouveauté dont il faut clairement la distinguer. Une œuvre peut être originale sans être nouvelle : elle bénéficiera donc de la protection du droit d’auteur, même si elle reprend, à sa manière, un thème cent fois exploré. De même, une œuvre peut être aussi originale tout en devant contribution à une autre œuvre. Il en est ainsi des traductions, adaptations, etc. À la différence de la nouveauté, notion objective qui s’apprécie chronologiquement – est nouvelle l’œuvre créée la première –, l’originalité est donc une notion purement subjective. Dès l’instant qu’une œuvre porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, qu’elle fait appel à des choix personnels, elle est protégée par le droit d’auteur.

La jurisprudence est très souple depuis de nombreuses années et apprécie largement la notion d’originalité en photographie. Même les reproductions d’œuvres à deux dimensions (des clichés de tableaux, par exemple) peuvent être aujourd’hui admises comme originales et donc protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique.

Mais les juges sont aussi capables d’évaluer, par eux-mêmes, les modifications parfois imposées par l’édition de livres.
 

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