C'est un homme de regard, de regard décalé. C'est pour cela sans doute qu'il est l'éditeur en GF d'Allais, de Laforgue, de Huysmans, de Gourmont. C'est pourquoi il aime aussi la photographie. Et surtout ce qu'on lui fait dire. C'est le lien entre photographie et croyance qui l'a attiré. Pourquoi croit-on en l'image ? Pourquoi le saint suaire fascine-t-il tant ? Ce qu'on nous montre n'est pas plus vrai que ce qu'on dissimule. La seule différence, c'est qu'on nous le met sous les yeux.

"Toute photographie est christique." La formule intrigue. Daniel Grojnowski sourit. Il sait que les formules sont comme les photographies justement. Des clichés que l'on personnalise en y mettant beaucoup de soi. La photographie est donc christique parce qu'elle appelle à croire en elle. A une époque où l'image est reine, ce petit essai sur Photographie et croyance ouvre bien des pistes et suscite autant d'interrogations.

Ce n'est pourtant pas par l'image, mais par le texte que Daniel Grojnowski a commencé sa carrière universitaire. Une thèse sur Jules Laforgue, le baladin des Moralités légendaires. Il y avait déjà l'essentiel de l'univers de Daniel Grojnowski : l'esprit fin de siècle, l'inconscient, la parodie, un certain attrait pour la marge. Et puis cette envie d'emprunter ces fameuses diagonales si chères à Roger Caillois, ces chemins de traverse que l'Université en France apprécie si peu. Avec quelques collègues, il installe à Paris-7 une UFR (unité de formation et de recherche) baptisée pompeusement "sciences des textes et des documents". En fait, on s'y intéresse à la presse et aux images. Le professeur Grojnowski conseille à ses étudiants de lire Paris Match. Et il fait venir un photographe qui explique pourquoi, par l'absence de flash, il a fait passer son doute sur l'innocence d'un homme impliqué dans un fait divers.

Déclic

Ce lien entre littérature et photographie, Daniel Grojnowski l'exploitera bien plus tard lorsqu'il proposera à Bertrand Fillaudeau, le patron des éditions Corti, chez qui il publiera plusieurs anthologies, un essai sur les Usages de la photographie (2011). A ce texte il manquait une conclusion. "Cela faisait un moment que je tournais autour de la croyance. Il m'apparaissait évident que c'est là-dessus que je devais travailler." La présentation du fac-similé du suaire de Turin à l'église Saint-Sulpice sert de déclic. Après une conférence donnée à Poitiers sur ce sujet, il propose d'en tirer un nouvel essai. Bertrand Fillaudeau veut réfléchir. Ce sera finalement Colette Lambrichs à La Différence.

"Qu'est-ce qui fait qu'une photo devient icône ?" C'est l'une des questions posées par Daniel Grojnowski. Sur une étagère de sa bibliothèque, il prend la photo d'une jeune femme, mélancolique et belle, sa mère. A 75 ans, il n'est pas question de nostalgie, mais de souvenirs et de ce qu'on met dedans. Des parents venus d'Europe de l'Est, la découverte des livres, des textes, des écrivains et des époques, une passion pour les marginaux, une curiosité pour les curieux et l'envie de transmettre tout cela, avec l'inquiétude du cuisinier qui vient de faire goûter son dernier plat et qui attend le verdict. "Des livres, j'en cherche et j'en trouve. A travers eux, c'est aussi moi que je recherche. C'est bien souvent dans les livres qu'on retrouve ses racines."

Sur une autre étagère, une autre photographie d'un coin des Buttes-Chaumont, où il a habité avec sa famille. Elle a été prise par Willy Ronis. Là encore, la machine à souvenirs se met en marche. Le professeur de littérature sait bien que tout livre, quel qu'il soit, est autobiographique. "J'ai bien conscience que dans cet essai sur la photographie, je règle mes comptes avec mes goûts et mes croyances." Voilà pourquoi les livres réussis nous en disent toujours un peu plus que leur sujet.

Après L'esprit fumiste et les rires fin de siècle (Corti 1990, repris et augmenté chez Omnibus en 2011 sous le titre Fumisteries : naissance de l'humour moderne, 1870-1914), une anthologie de romans sur la prostitution (Un joli monde, Robert Laffont, "Bouquins", 2008), Daniel Grojnowski travaille pour Fayard sur les mémoires d'une religieuse devenue proxénète à la Belle Epoque et se replonge dans les arts incohérents. Au fait, est-il lui-même photographe ? "Non, je ne prends pas de photos, pas plus que je ne suis croyant !" Loin des clichés, on vous dit...

Photographie et croyance : images empreintes, images vraies, La Différence, 110 p., 14 euros, ISBN 978-2-7291-1985-0. Sortie le 6 septembre.

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