Intelligence artificielle

Un manga totalement réalisé par une IA questionne le droit d’auteur

Le 10 août 2022, l'auteur Rootport dévoilait sur son Twitter les premières images de son manga de science-fiction. - Photo Rooport

Un manga totalement réalisé par une IA questionne le droit d’auteur

Couverture, intrigue, illustrations : le manga de science-fiction Cyberpunk : Peach John, qui sortira jeudi 9 mars au Japon, est entièrement conçu par le logiciel Midjourney. Mais comment s'applique le droit d'auteur face à l'IA ?

Par Elodie Carreira,
avec AFP Créé le 07.03.2023 à 14h38

Une centaine de pages en six semaines seulement, c’est l’exploit réalisé par Rootport et l’IA Midjourney pour réaliser le manga de science-fiction Cyberpunk : Peach John, qui paraîtra chez Shinchosha jeudi 9 mars au Japon. Très attendue, l’œuvre rencontre tout de même ses détracteurs et questionne la légitimité de l’artiste et l'attribution des droits d‘auteur.

Quand l’IA met des images sur des idées

« C’était un cheminement amusant, un peu comme jouer au loto », raconte à l’AFP Rootport, pseudonyme de l’auteur de 37 ans qui reconnaît avoir « zéro » talent pour le dessin. En rentrant dans l’IA des mots-clés tels que « cheveux roses », « garçon asiatique » ou encore « blouson », il a vu se dessiner, en deux temps trois mouvements, les visages de ses héros.  Il s'est ensuite contenté de sélectionner les meilleurs résultats et les a assemblés sur ses planches de bande dessinée. Convaincu que les générateurs d’images utilisant l’IA ont « ouvert la voie à des gens sans talent artistique », Rootport rappelle tout de même que l’auteur reste maître du récit et qu’il lui faut de bonnes histoires à raconter.

« La possibilité que les assistants des mangakas soient remplacés » un jour par une machine « n'est pas nulle », estime cependant Satoshi Kurihara, professeur à l'université Keio de Tokyo, qui, en 2020 a publié avec son équipe un manga assisté par l'IA. De son côté,  Madoka Kobayashi, artiste manga depuis plus de trente ans, ne voit pas vraiment l’IA « comme une menace » mais comme « un excellent compagnon »« Il m'aide à visualiser ce que j’ai en tête ». Ginjiro Uchida, étudiant de 18 ans, lui, en voit plutôt les limites. Selon lui, les programmes informatiques peinent à dessiner les mains et visages dans des proportions délibérément exagérées comme l’impose le genre du manga, et « les humains ont encore un plus grand sens de l'humour ».

Qui est l'auteur ?

Reste la question épineuse des droits d'auteur. Elle concerne d'une part la production des ouvrages. Ainsi, en février dernier, le Bureau des droits d'auteur américain est revenu sur sa décision d'accorder la pleine propriété intellectuelle de la BD Zarya of the Dawn à son autrice Kristina Khashtanova. Comme Rootport, celle-ci avait utilisé Midjourney. Or, ce logiciel a la particularité de générer des images de façon très aléatoire à partir d'instructions données, ce qui a valu à l'administration américaine de considérer comme mineure la part de création de l'autrice.

De notre côté de l'Atlantique, le droit français et européen précise également qu'une oeuvre ne peut bénéficier d'un protection que si elle est originale et exprime la personnalité de l'auteur. Ce qui implique que l'auteur soit une personne physique. D'où ce dilemme : si, faute de créativité, le signataire d'une oeuvre ne peut être considéré comme son auteur, et si, faute d'existence physique, l'IA ne peut pas non plus prétendre à ce statut, à qui en revient la paternité ?

L'IA peut-elle utiliser les oeuvres des autres pour s'améliorer ?

Le droit d'auteur interroge aussi le fonctionnement même de la machine. Car pour s'améliorer l'IA mouline des millions d'oeuvres déjà parues. Et leurs auteurs commencent à se rebeller contre cette utilisation dont ils ne retirent rien. En janvier, aux États-Unis, trois artistes ont porté plainte contre Stable Diffusion, Midjourney et DeviantArt, et l'agence de photos Getty contre Stable Diffusion. Ils contestent le droit des IA à traiter leurs textes ou leurs images pour leur "apprentissage".

En Europe, une directive européenne de 2019, transposée dans 22 États dont la France, autorise ce "droit de fouille" (data mining), y compris sur des contenus sous droit d'auteur s'ils sont publiquement accessibles, sauf si le titulaire des droits s'y est opposé expressément. Quand des oeuvres sont utilisées à des fins de recherche, « cette exception au droit d'auteur est absolue et sans recours possible, explique Charles Bouffier, avocat au cabinet Racine. Mais à des fins commerciales, les titulaires de droits peuvent refuser et l'indiquer dans les conditions générales du site, par exemple.» Le droit américain autorise lui aussi le data mining pour un usage équitable ("fair use").

Cependant, face à l'évolution rapide des systèmes d'intelligences artificielles, ici comme aux États-Unis, les juristes s'attendent à voir apparaître de nouvelles situations qu'ils vont devoir arbitrer.

 

 

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