Venu à la littérature avec Le chien d’Ulysse (Gallimard, 2001), Salim Bachi poursuit depuis une œuvre originale et de qualité, dont l’une des particularités est de prêcher, sans théorie aucune, pour le dialogue entre les cultures, la fraternité, notamment autour de la Méditerranée. Son huitième roman, Le consul, en est un nouvel exemple. Un livre pétri d’humanité, à la fois émouvant et positif, porté par un vrai souffle et un style superbe.
Salim Bachi donne, à la première personne, la parole à son héros, Aristides de Sousa Mendes, qui, à la fin de sa vie, se confie à Andrée, son deuxième grand amour et sa seconde épouse. Ils se sont mariés en 1949, après la mort d’Angelina, sa première femme, à qui il culpabilisait d’avoir infligé sa double vie. Ils ont eu quatorze enfants ! Mais les sentiments ne se commandent pas, même quand on est un Portugais royaliste et catholique - au point, près de la mort, de revêtir la robe de bure des Franciscains.
Dans le civil, Aristides était diplomate, consul général du Portugal à Bordeaux au moment où éclate la guerre. Pour lui comme pour bien des Européens, c’est un monde qui s’effondre, avec toutes ses valeurs chrétiennes. Dans son pays, le dictateur Salazar, au pouvoir depuis 1932 et allié objectif des autres régimes fascistes (notamment celui de Franco, qu’il a soutenu durant la guerre civile), affiche une neutralité de façade et ordonne à ses diplomates de respecter une circulaire, laquelle réglemente strictement la délivrance des visas pour le Portugal, port d’embarquement vers les Etats-Unis. Aristides n’aimait pas Salazar, "ce démon" qui avait déjà tourmenté son jumeau César, diplomate également et ancien ministre. Mais, surtout, en son âme et conscience, il ne pouvait laisser menacés de mort les dizaines de milliers de réfugiés, dont plus de 10 000 Juifs, venus frapper à sa porte. Alors, jusqu’à ce qu’il soit rappelé par Salazar, destitué, mis en accusation puis à la retraite anticipée sans solde - il est mort dans la solitude et la misère, sa nombreuse famille dispersée -, M. le Consul a délivré des visas à tour de bras. On les estime entre 30 000 et 50 000. Son œuvre salutaire s’est interrompue après dénonciation venue… des Anglais et enquête administrative. Il a dû se soumettre, mais ne s’est jamais remis de ce qu’il avait vécu.
Aujourd’hui brillamment romancée, cette histoire authentique méritait d’être rappelée et le nom d’Aristides de Sousa Mendes, un Juste, tiré de l’oubli, surtout à un moment où l’on commémore le souvenir de deux guerres mondiales et où la paix n’a jamais été aussi menacée par les intégrismes, les totalitarismes, les crimes contre l’humanité. J.-C. P.