Voici tout juste un an, le 12 janvier 2010, un tremblement de terre dévastait Haïti. Au Québec, où je séjourne toujours à pareille époque de l’année, le séisme avait pris l’ampleur d’une catastrophe nationale. Car, à Montréal, les Haïtiens sont partout — même si, il faut bien l’avouer, ils occupent le plus souvent des emplois subalternes. A vrai dire, j’ignore par quelle filière historique ou culturelle les Haïtiens ont trouvé une seconde patrie dans un pays où le climat… est diamétralement opposé à celui de leur terre natale. Mais c’est ainsi, et le Québec est aussi devenu la patrie d’adoption de la littérature haïtienne. On la lit et on la célèbre beaucoup plus qu’à Paris. Depuis quelques jours, déjà, tous les médias locaux sont à nouveau focalisés sur Haïti, pour le 1 er anniversaire du séisme. C’est ainsi que le grand quotidien La Presse a publié, lundi, un reportage particulièrement émouvant, intitulé « Un jour sans lendemain » — si beau titre que je l’ai pillé sans vergogne. On s’en souvient peut-être, le tremblement de terre avait éclaté la veille de l’ouverture du festival Etonnants Voyageurs, pour une fois délocalisé à Port-au-Prince. Journaliste littéraire à La Presse , Chantal Guy s’était rendue sur place en avance. Elle avait en effet obtenu de Dany Laferrière — alors tout récent lauréat du Médicis — qu’il la promène dans sa ville natale une journée entière, en compagnie d’un photographe. Rendez-vous avait été pris le 11 janvier 2010. La veille du tremblement de terre. « Nous ne savions pas alors que nous allions immortaliser la dernière journée de Port-au-Prince telle que les Haïtiens l’ont connue », écrit aujourd’hui Chantal Guy. Dany Laferrière a raconté sa version de ce reportage dans Tout bouge autour de moi , publié d’abord chez Mémoires d’encrier, et dont une nouvelle version paraît chez Grasset ce 13 janvier. Mais Chantal Guy, pour sa part, n’avait rien publié : comment raconter, dans un quotidien, le 11 janvier 2010, « une journée si belle, si ensoleillée », alors que l’actualité était focalisée sur l’anéantissement du lendemain ? Mais, un an plus tard, son texte se lit avec un mélange d’émotion et — oui — de bonheur. « Les écrivains commençaient à arriver pour le festival Étonnants Voyageurs, annoncé partout sur des banderoles dans la ville, raconte-t-elle. Dany l'avait écrit dans son dernier roman, et nous pouvions le sentir : une relative stabilité était elle aussi de retour à Port-au-Prince, réputée pour ses enlèvements beaucoup plus que pour ses prix littéraires. La ville était ce jour-là grouillante et langoureuse sous le soleil de janvier. Nous allions célébrer sa vitalité, ses poètes, ses écrivains, ses artistes. Ils venaient du Québec, de la France et de l'Afrique pour l'occasion. Le but de notre reportage était de rendre la courtoisie à un écrivain qui, en 25 ans de carrière, n'avait cessé de nous faire voyager dans son île magique, apportant à la littérature québécoise un souffle nouveau. Pour la première fois, c'était à nous d'aller à la rencontre d'Haïti. » Leur parcours de la journée tiendra du marathon : visite à la principale radio de l’île, crochet par la Direction nationale du livre, puis c’est le Musée d’art haïtien, un lycée de jeunes filles, le Champ de Mars… Dany Laferrière était partout « intarissable » en souvenirs et anecdotes. Au « mythique » Olofsson (où vécut notamment Graham Greene), il évoque sa mère, qui ne lui parle jamais de ses livres, alors que sa tante les a tous lus en le traitant de menteur et de chenapan. « Mais hier, ma mère m'a fait un joli cadeau. À l'église où elle va prier, tout le monde est venu la voir pour la féliciter de mon prix Médicis. Elle m'a alors dit : "Tu dois être très connu. J'ai fait chanter une messe pour toi." » « Avec le recul, écrit encore Chantal Guy , c'est comme si nous avions visité Pompéi avec l'un de ses plus illustres poètes avant l'éruption ».