Histoire/France 14 mars Yann Le Bohec

Ecrite par un historien de l'Antiquité spécialiste de l'armée romaine, publiée dans une collection intitulée « L'art de la guerre », on pouvait se douter de la thématique générale de la biographie que Yann Le Bohec, professeur émérite de la Sorbonne Paris-4, consacre à Lucullus (118-56 avant Jésus-Christ), l'un des hommes les plus importants de la République romaine finissante.

Une époque troublée, donc, où ce qui allait bientôt devenir l'Empire (à partir d'Auguste, successeur de César) était en passe de continuer à conquérir le monde, notamment l'Asie, en même temps que se déroulaient, à Rome, des luttes politiques acharnées, et de plus en plus sanglantes, pour le pouvoir. Entre partisans de Sylla contre ceux de Clodius, par exemple, leaders des deux grands « partis politiques » en compétition. Les optimates (ou « meilleurs »), c'est-à-dire la vieille aristocratie sénatoriale patricienne, plus quelques « hommes nouveaux » qu'elle avait admis dans ses rangs, comme Lucullus, justement, ou Cicéron, qui appartenaient même à la frange la plus conservatrice de leur camp, alors que l'aristocrate Pompée avait mis de l'eau dans son vin afin de séduire le peuple, contre les populares, censés représenter les classes populaires. C'est-à-dire en fait le reste des citoyens libres, mâles, en âge de voter et en ayant les moyens, Rome étant une démocratie censitaire, oligarchique, fondée à la fois sur des castes et des classes sociales. Plus tard, il y aura la lutte à mort entre Pompée (qui n'aimait guère Lucullus, le remplaça comme chef militaire et le traita de façon humiliante) et César (à qui Lucullus s'opposa résolument).

Aristocrate, richissime, fils d'un homme politique et d'une grande patricienne, Caecilia Metella, intellectuel cultivé, philhellène et bilingue, pieux, philosophe à qui Cicéron a même consacré un traité portant son nom, Lucius Licinius Lucullus fut au cœur de ce système : en tant que citoyen, il suivit le cursus honorum sans problème, jusqu'à la magistrature suprême, le consulat (en - 74), et il fut aussi un vrai général, excellent stratège, qui mena notamment deux guerres contre le roi Mithridate du Pont, ennemi juré de Rome, et une contre son gendre, le fourbe Tigrane, roi d'Arménie. Il s'en tira avec les honneurs, se faisant même décerner le Triomphe en - 63.

Mais le paradoxe est que le nom de Lucullus est passé à la postérité pour d'autres raisons, bien plus pacifiques : notre ami était aussi un hédoniste (voire un noceur dépravé, dirent ses ennemis), un gourmand et un gourmet, qui mit son immense fortune au service de son bon plaisir. Dans ses villas somptueuses du Pincio, à Rome, de Tusculum, Naples ou Baïes, sa table était l'une des plus raffinées de toutes, et c'est lui qui a rapporté d'Orient un fruit exquis : la cerise.

Sur cet aspect « gastronome », en dépit du sous-titre de son livre, parfaitement clair et documenté, Yann Le Bohec n'insiste guère, sans doute parce que les sources sont peu abondantes. L'Histoire retient plus les noms des militaires que ceux des épicuriens.

Yann Le Bohec
Lucullus : général et gastronome
Tallandier
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19,90 euros ; 304 p.
ISBN: 9791021031524

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