En Italie, Eugenio Scalfari, né en 1924, fondateur en 1976 de La Repubblica, alors qu'il dirigeait l'hebdomadaire L'Espresso, est un Européen convaincu, fier de ses valeurs humanistes et prêt à les défendre jusqu'au bout. Il a ainsi combattu Berlusconi, lequel avait fait du journaliste et de son journal sa bête noire. Mais Scalfari est aussi un être de culture. Nourri d'Antiquité (L'odyssée d'Homère, surtout, qui demeure son guide), de littératures européennes - française notamment -, de philosophie, l'une de ses passions. Il nous convie à le suivre sur les chemins de la modernité, qu'il définit comme "un voyage", non point à travers une collection de ses chroniques, c'eût été paresse, mais dans un récit filé et tissé comme la tapisserie de Pénélope, et placé sous l'invocation de Dante.
Le titre de son livre, Per l'alto mare aperto (Par la haute mer ouverte), est extrait de La divine comédie. Mais son Virgile à lui (avec Nietzsche, qui viendra clore le voyage) s'appelle Diderot. Il le rencontre dans les jardins du Palais-Royal, comme un vieil ami, et les voici partis visiter Montaigne dans sa "librairie" près de Bordeaux.
Pas question d'un parcours chronologique par trop scolaire, il s'agit d'un vagabondage érudit, d'une méditation fondamentale avec, par exemple, sa démonstration sur la morale en politique, selon Machiavel et le cardinal de Retz. Au fil des chapitres, Scalfari monte une interview entre Sainte-Beuve et Marc Fumaroli à propos de Chateaubriand, revisite la planète Baudelaire à travers les yeux de son ami Roberto Calasso, salue Proust qui "vit" chacun de ses personnages, rapproche Joyce et Tolstoï de leur maître Homère, envisage Dostoïevski "de profil", ou Marx en admirateur de Napoléon... Juste avant de glisser deux grands Italiens : le poète Eugenio Montale et Italo Calvino, qu'il fit signer dans La Repubblica.
Eugenio Scalfari est un homme de convictions, qui par la force de ses arguments ne peut qu'emporter l'adhésion de son lecteur, épuisé mais ébloui par le voyage ! L'essayiste vient de publier, chez Einaudi, Scuote l'anima mia Eros, un traité des passions qui sera peut-être publié un jour en France. Il y tient beaucoup.