Ce Hein-là, partout où il passe, y compris dans les steppes de l'Asie centrale sur les traces des Mongols, des livres repoussent. Et même dru, puisque son premier récit de voyage, le très beau A l'est des nuages, remonte seulement à 2010, paru chez Denoël puis repris en poche chez Arléa en 2011.
La particularité de notre homme, même s'il pérégrine et écrit dans la grande tradition littéraire des Albert Londres, Michaux, Bouvier, Lapouge et quelques autres qu'il se plaît à citer en tête de ses chapitres - autant d'escales -, c'est qu'il est parti vivre en Asie, à Pékin en l'occurrence, depuis 2004 où il fait du business. Sa femme Ma Xiaomeng est chinoise, leur petit Edgar certainement bilingue. Ce qui fait de Vincent Hein, même s'il porte toujours un regard extérieur sur les endroits qu'il découvre, décrit et raconte, un lao wai, un étranger un peu particulier. Accoutumé, pas complètement "barbare ».
Cet Arbre à singes - autre nom, comme chacun ne sait pas forcément, de l'araucaria, qu'on appelle plus joliment dans les Andes, dont il est originaire, "le désespoir des singes" - se présente donc comme des Carnets d'Asie, tenus par l'auteur de février à octobre 2010, de Séoul à Kyoto, en passant par Pékin, Pingyao, Mutianyu, Hongkong, Tai O, Canton, et Pékin à nouveau.
Brefs séjours descriptifs, qui lui permettent d'évoquer la réalité de l'endroit où il se trouve, avec un fort tropisme pour les habitants, leurs coutumes et leur nourriture, et une liberté de ton qui rappelle celle, légendaire, de Nicolas Bouvier. Ou même de Paul Theroux, lorsque Hein note, à propos de Canton, "je ne vais pas me plaire ici ». La ville, lui seul sait pourquoi, lui remémore son enfance à Thionville, apparemment pas très drôle. Plus joyeux, en revanche, cet épisode à la librairie française Parenthèses, à Hongkong, qui lui rappelle une chanson de Michèle Torr. Ça nous change de Jean Giono, qui semble être l'un des auteurs de prédilection de Vincent Hein !
Mais l'essentiel de son ouvrage est consacré à la Chine. A Pékin où il habite avec sa petite famille dans l'un des rares hutong traditionnels pas encore tombés sous les coups des bulldozers. A Pingyao, "un genre de Mont-Saint-Michel » local - mais sans la mer -, où il s'ennuie, même si c'est là que Zhang Yimou a tourné Epouses et concubines. Mais on va aussi dans la Chine profonde, qui n'a pas changé depuis Michaux et même bien avant, comme le village de Mutianyu, l'un des millions de semblables dans le pays, ou encore le modeste port de pêche de Tai O, où la famille passe un week-end dans une maison en aluminium.
C'est à Kyoto que le livre s'achève, sur un inventaire enchanteur de tout ce que l'auteur aimerait en rapporter, même des choses immatérielles comme "un pan de brume qui traîne là depuis l'enfance du prince Shotoku", bouddhiste éminent, législateur et historien qui vécut aux VIe-VIIe siècles de notre ère. >Tout cela est une invitation au voyage et à la découverte, grâce à un cicérone érudit, exigeant, solitaire, que tout renvoie sans cesse à sa propre histoire. Il l'écrira sans doute un jour.