Même s'il exagérait, voire fabulait, on est prêt à tout pardonner à Kenneth Cook, l'un des écrivains les plus farfelus, les plus talentueux et les plus originaux de sa génération, surtout en plein bush. Car l'irremplaçable Kenneth, sûrement réincarné en Aborigène depuis sa disparition en 1987, était australien, et son pays occupe une place prépondérante dans ses textes. Romancier, scénariste, journaliste, et même éleveur de papillons, la nature et sa faune sont privilégiées dans ses nouvelles. L'Australie, si l'on en croit Cook, est peuplée d'un tas de sales bestioles. On l'avait laissé la dernière fois à demi-dévoré par un koala tueur, le voici aujourd'hui au bord d'un crash aérien à cause de gros lézards ; près d'être flingué par une bande de rustiques parce que, se trompant de Land-Cruiser, il a embarqué le chien de l'un d'entre eux qui somnolait à l'arrière ; boxé par un kangourou défoncé à la drêche de bière ; à moitié noyé à cause de Krishna, un setter fou de natation ; ou encore poursuivi par un mâle autruche furieux de s'être fait dérober un oeuf géant...
"L'autruche est un sale oiseau », conclut Kenneth Cook, avec cette mauvaise foi qui le caractérise, l'un de ses charmes. Un autre, outre son style brillant, est son humour pince-sans-rire so british, ou encore son génie de se fourrer dans les situations les plus démentes. Il suffit qu'il s'achète un ketch de quinze mètres en acier et y invite deux amis, pour que la croisière vire à la catastrophe : le bateau se révèle pourri et fait naufrage. Coincé une nuit dans une cabane, il tombe forcément sur un féroce chat sauvage, dévoré par un chien monstrueux façon Baskerville, lui-même massacré par... quoi d'autre ? Cook, tout aventurier qu'il se prétende - à l'époque, il se disait chercheur d'or -, s'est enfui sans chercher à élucider le mystère !
L'ivresse du kangourou semble être, si l'on en croit son éditeur français, le troisième et dernier recueil posthume des nouvelles "faunesques" de Kenneth Cook. Savourons-les, relisons les précédentes, et prions pour qu'un petit fouineur en retrouve encore quelques-unes. Car sans Cook, la littérature n'a plus le même attrait.