Le poids de la tradition familiale est parfois tel qu’on risque de passer à côté de soi. C’est ce qui aurait pu arriver à une jeune femme, bien ancrée dans son environnement particulier, celui des "shmattès", les fringues. Si le film La vérité si je mens ! a immortalisé les grossistes du Sentier parisien, Nathalie Skowronek (Karen et moi, Arléa, 2011) décrit leur versant ashkénaze en Belgique. Un monde méconnu qui constitue son "socle". " Je pensais que c’était la seule voie possible. Que j’étais liée à une chaîne, puisque j’en étais un des maillons."
Elle reprend le flambeau de cette passion transmise "de père en fils, de mère en fille" sans se poser de questions. De fil en aiguille, elle tisse l’histoire de ses aïeux, des Juifs polonais obligés d’échapper à des conditions difficiles. Le plat pays est devenu leur terre d’asile. On y suit Lili, l’arrière-grand-mère couturière qui commence au plus bas de l’échelle, à Charleroi. Une matriarche travailleuse, désireuse de prendre une revanche sur son destin d’exilée. Fière de cet héritage, sa descendance ouvrira neuf boutiques, en Flandre et en Wallonie.
La narratrice grandit dans cet univers du vêtement, régi par des règles strictes, mais il ne tarde pas à s’effilocher. Elle assiste à "la fin d’un monde" qu’on croyait éternel. Une transition qui passe de la révolution Singer au prêt-à-porter fabriqué en Asie. Les petits commerçants se retrouvent ébranlés. Il en va de même de l’auteur qui préfère se tailler un costume "sur mesure" dans la littérature. "L’ailleurs était à deux pas, je ne le savais pas." Comment s’affranchir d’une voie toute tracée par les siens sans les trahir ?
Kerenn Elkaïm