Marceline Loridan-Ivens est le symbole d’une joie de vivre libérée. Comment est-elle devenue cette femme pétillante et flamboyante malgré la déchirure d’Auschwitz ? Elle a réussi à y connaître l’amitié, la liberté de pensée. Mais il est impossible de revenir indemne d’une telle expérience : "L’Histoire m’a choisie, mastiquée, déchiquetée, recrachée survivante."
Cette grande dame au si petit gabarit écrit pour prendre une revanche sur les mots volés, enfouis, interdits. Son livre précédent, Et tu n’es pas revenu, tentait de restituer son deuil indicible, qu’elle exprimait grâce à la plume d’orfèvre de Judith Perrignon. Journaliste et écrivaine de talent, celle-ci absorbe l’histoire de Marceline Loridan-Ivens, au point de se fondre dans sa sensibilité à fleur de maux. Dans cette nouvelle collaboration, elle l’aide à composer une lettre à elle-même, comme si "la jeune fille interrompait la survivante : Tais-toi, tout dire, c’est mourir". A la Libération, il n’y avait pas de place pour les émotions des survivants.
"L’ombre de la guerre derrière nous, nous commande de vivre. Nous allions dans les graves du drame, puis dans les aigus du bonheur." Le Saint-Germain-des-Prés d’antan se prêtait à la jovialité, moins à l’intimité. "J’ai tout vu de la mort sans rien connaître de l’amour", affirme Marceline. A 15 ans, son identité a été réduite au matricule 78750. "J’étais indissociable de cette histoire", gravée dans son corps. Ainsi fuit-elle sa nudité, depuis le premier regard qu’un homme a posé sur elle. Celui d’un nazi armé, prêt à la tuer.
Les camps ont été abordés de multiples façons, mais ils n’ont jamais été évoqués sous l’angle de leurs répercussions sur le désir, la sexualité, la féminité et l’amour. Marceline ose briser ce tabou en regardant son corps frontalement. Sec, il refuse d’enfanter et de se livrer entièrement. Qu’à cela ne tienne, elle refuse de s’apitoyer sur son sort, mais explore plutôt les ressorts de la vie.
A commencer par les hommes, qu’elle ressuscite à travers sa "valise d’amour". Celle-ci regorge de lettres ou de souvenirs inavoués d’êtres aimés. Parmi eux, "l’orphelin caché devenu écrivain", Georges Perec. Ils ont survécu à la guerre, mais ne savent pas quoi faire d’eux-mêmes. Francis, son premier mari, ne parvient pas à briser la glace. Seul Joris Ivens lui offre l’équilibre et le respect rêvé. Entre eux, "l’engagement augmentait l’amour. Aimer quelqu’un, c’est l’aider à vivre."
Marceline Loridan-Ivens possède une puissance créatrice et innovatrice dans ses films, ses documentaires, ses livres, comme dans sa vie amoureuse. La liberté y est insufflée sous toutes ses formes. Elle, qui a connu l’Enfer entre les fils barbelés, ne se laissera jamais enfermer dans des carcans imposés. Elle livre une leçon inoubliable renforcée par une écriture remarquable. Kerenn Elkaïm