«C’est vraiment un geste qui est issu d’un pragmatisme : c’est le bouche à oreille, la transmission, la métaphore exacte d’une transmission d’un savoir humain», confie Olivier Comte. Dans un monde où l’œil est utilisé en permanence et où la dictature de l’image nous envahit, eux passent « par une autre porte, à la périphérie du champ visuel. L’oreille est directement à la matière grise qui bat à l’intérieur.»
A voir les têtes des «soufflés», cela apaise. C’est le retour de la «tendresse», selon leurs mots. Une «transmission intime» où «le soufflé s’approprie le texte, comme une chanson. Ils ont l’impression que ça leur parle, dans la tête.»
Parapleurs
D’où les ombrelles noires. «Les parapluies ne sont pas des accessoires esthétiques. Nous surgissons n’importe quand et n’importe où. Dans cette idée du surgissement, les gens se retrouvent aux prises avec des choses qu’ils ne pensaient jamais pouvoir entendre à ce moment là. La poésie travaille l’homme très, très, vite. Si bien qu’on se retrouvait avec des gens qui pleuraient partout, n’importe où. Les parapluies servent à protéger la pluie intérieure», raconte Olivier Comte.
De fait, Les Souffleurs, entre Aubervilliers et Tokyo, peuvent intervenir dans un embouteillage, dans une usine, au sein d’un marché ou à la Foire de Francfort, comme ce fut le cas durant les deux premiers jours de la manifestation.
Tressage de langues
Ici, ils avaient choisi un corpus composé de phrases de Rainer Maria Rilke, Paul Celan ou encore Volker Braun. Ils n’ont pas de catalogue. «On ne souffle jamais deux fois les mêmes textes d’un événement à l’autre (…) et nous travaillons systématiquement le répertoire en fonction des endroits où nous allons». Soit, au total, quinze à vingt textes pour chacun des Souffleurs, en français, en italien, en japonais, en espagnol, et même en allemand. «On tresse les langues en soufflant un texte avec la langue du poète et sa traduction.»
C’est un «tube fin, léger, souple, et qui, filtré d’une manière un peu secrète, permet de casser les ondes naturelles du son», explique le créateur de la troupe. «Le tube nous l’appelons un rossignol, car il y a une phrase de Cioran qui dit «Dans un monde sans mélancolie, les rossignoles se mettraient à roter». Evidemment, on sait que l’homme sera toujours capable de mélancolie.»
Loin du bruit des stands et des scènes, du marché du livre et des rencontres professionnelles, ces Souffleurs ont parfaitement traduit la définition qu’ils donnent au mot Commando : «C’est une troupe d’humains déterminés et nous sommes déterminés à ce que la poésie soit délivrée, c’est à dire sortie des livres.»