"Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste" expliquent-elles en préambule. "A la suite de l’affaire Weinstein a eu lieu une légitime prise de conscience des violences sexuelles exercées sur les femmes, notamment dans le cadre professionnel, où certains hommes abusent de leur pouvoir. Elle était nécessaire. Mais cette libération de la parole se retourne aujourd’hui en son contraire : on nous intime de parler comme il faut, de taire ce qui fâche, et celles qui refusent de se plier à de telles injonctions sont regardées comme des traîtresses, des complices !”
Justice expéditive et repentir forcé
Le collectif craint un retour au puritanisme: "le propre du puritanisme que d’emprunter, au nom d’un prétendu bien général, les arguments de la protection des femmes et de leur émancipation pour mieux les enchaîner à un statut d’éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l’emprise de phallocrates démons, comme au bon vieux temps de la sorcellerie.”
En citant la campagne virale #MeToo, elles dénoncent des mises en accusation publiques entraînant une forme de justice expéditive et univoque pour des hommes, sanctionnés pour "avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses « intimes » lors d’un dîner professionnel ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’était pas réciproque."
"Cette fièvre à envoyer les « porcs » à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment, au nom d’une conception substantielle du bien et de la morale victorienne qui va avec, que les femmes sont des êtres « à part », des enfants à visage d’adulte, réclamant d’être protégées", soulignent-elles, en appelant à un peu plus de nuances dans un contexte qui rappelle l'inquisition: "La confession publique, l’incursion de procureurs autoproclamés dans la sphère privée, voilà qui installe comme un climat de société totalitaire."
Des romanciers et romancières sous pression
S'indignant de cette "vague purificatoire" conduisant à la censure d'œuvres artistiques ou la mise au pilori de créateurs, la tribune révèle que "des éditeurs demandent à certaines d’entre nous de rendre nos personnages masculins moins « sexistes », de parler de sexualité et d’amour avec moins de démesure ou encore de faire en sorte que les « traumatismes subis par les personnages féminins » soient rendus plus évidents !”
"Une femme peut, dans la même journée, diriger une équipe professionnelle et jouir d’être l’objet sexuel d’un homme, sans être une « salope » ni une vile complice du patriarcat” rappellent-elles. "En tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui, au-delà de la dénonciation des abus de pouvoir, prend le visage d’une haine des hommes et de la sexualité. Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d’importuner. Et nous considérons qu’il faut savoir répondre à cette liberté d’importuner autrement qu’en s’enfermant dans le rôle de la proie" estime le collectif.
"Nous ne sommes pas réductibles à notre corps. Notre liberté intérieure est inviolable. Et cette liberté que nous chérissons ne va pas sans risques ni sans responsabilités" concluent-elles.
Au total une centaine de femmes ont signé ce manifeste, parmi lesquelles des traductrices (Bérengère Viennot, Sophie Bastide-Foltz, Linda Blake Pibarot, des écrivaines (Julie du Chemin, Adeline Fleury, Frédérique Dolphijn, Sylvie Le Bihan, Isabelle Marlier, Alexandra Varrin), des éditrices (Anne Hautecœur), des critiques d'art, des historiennes et des philosophes, en plus d'artistes, de professeurs, de journalistes (Karine Papillaud, Caroline Vié)...
[Mise à jour] Des militantes féministes ont vivement réagit à cette tribune dans un texte publié sur FranceTVInfo et rédigé par Caroline de Haas ce mercredi 10 janvier.