20 mars > Roman France

L’un était un fils de poète nazi, l’autre une jeune femme muette, princesse du silence, le troisième, un amateur de Porsche et de la violence qui surgit comme un éclair de beauté électrique. La fille passera de l’un à l’autre, un goût de cendres dans la bouche. Les trois, et ils n’étaient pas les seuls, nés de l’abjection. Les trois suicidés, car comment faire autrement ?

Voilà longtemps que les fantômes de Bernward Vesper, de Gudrun Ensslin et d’Andreas Baader, de la Fraction armée rouge, ne reviennent plus hanter la mauvaise conscience allemande. Tout passe et lasse. Et pourtant, il doit bien y avoir quelque chose qui dans ces mythologies rouges interroge encore notre époque. Après tout, ces enfants perdus de la guerre et de la lutte armée étaient nos parents… Traducteur de l’allemand, auteur d’un passionnant Fassbinder, la mort en fanfare (Rivages, 2012), Alban Lefranc a déjà consacré à ces trois figures de la bande à Baader (avec Ulrike Meinhof, bien sûr) un livre, Des foules, des bouches, des armes (Léo Scheer/Melville, 2006). C’est ce texte qui reparaît aujourd’hui, largement revu, corrigé et augmenté sous le titre Si les bouches se ferment. Ce que Lefranc nous montre (ou plutôt, ce que son écriture, rapide, lapidaire, violente et édénique à la fois, suscite), c’est aussi que la révolution est parfois un médicament contre la tristesse. Que le crime a pour seul mérite de n’être jamais lourd. Il s’agit moins ici de fascination politique qu’esthétique, si tant est que l’une et l’autre soient si différentes. Dans des pages bercées autant de Hölderlin que de Brecht, Alban Lefranc compose une pavane pour des enfants qui n’eurent jamais que la mort comme ligne d’horizon.

Olivier Mony

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