Après La princesse du sang et avant le cultissime Nada, Max Cabanes adapte Fatale, un polar un peu atypique de Jean-Patrick Manchette, d’ailleurs paru hors collection chez Gallimard en 1977. Le romancier emblématique du renouveau du roman policier français dans les années 1970 y campait une tueuse énigmatique. Psychologiquement fragile, la belle Aimée Joubert s’y montrait néanmoins déterminée à faire exploser la bourgeoisie de Bléville, une ville moyenne côtière possiblement normande, en exploitant son inévitable lot de petits secrets - adultères, collaboration sous l’occupation allemande, trafics et corruption - comme en maniant sans trembler de multiples objets contondants. Mais la situation qu’elle créait avec l’intention d’en tirer un profit financier lui échappait. Dans la France de l’après-68, les équilibres politiques et sociaux des Trente Glorieuses étaient ébranlés, le monde bien réglé des notables de province lézardé comme les certitudes de ses opposants. Dans cet univers en désagrégation, le savant montage d’Aimée Joubert virait au feu d’artifice sanglant.
Jean-Patrick Manchette qualifiait Fatale d’"expérimental". Mais suivant sa vénéneuse héroïne au plus près, exprimant la noirceur de l’intrigue par des couleurs puissantes, Max Cabanes restitue à ce polar cérébral sa densité de thriller. Tandis qu’il fait entendre la voix de l’écrivain par un texte narratif en caractères de machine à écrire traditionnelle, il entretient le suspense par les dialogues précis de personnages représentatifs d’une France qui se délite. Fabrice Piault