Un capitaine qui porte le nom d'un grand écrivain du XIXe siècle ; un bateau qui tient le sien d'un rocher de Rhénanie célèbre pour sa sirène, et le décor de Sailor Twain est planté. Mark Siegel est un graphiste et illustrateur américain élevé en France avant de revenir aux Etats-Unis où il a notamment édité, chez First Second, Joann Sfar, Lewis Trondheim ou Emmanuel Guibert. Il signe dans la tradition feuilletonesque du XIXe - l'histoire a d'ailleurs été prépubliée toute l'année 2012 sur un site Internet -, en enchaînant les courts chapitres, un ambitieux récit où se croisent mystère et amour, suspense et drame.

Aux commandes du Lorelei, un vapeur qui parcourt l'Hudson River entre New York et Tarrytown, Elijah Twain va recueillir et soigner une sirène blessée, autour de laquelle se nouent peu à peu les fils d'une intrigue complexe et fantastique. Elle met en jeu le fondateur français de la compagnie de navigation fluviale, Jacques-Henri Lafayette, mystérieusement disparu, et son jeune frère Dieudonné, dragueur impénitent. Ce dernier, qui ne croit pas à la mort de son aîné, tente de le retrouver par des moyens qui vont vite se révéler assez peu orthodoxes.

Sur le bateau qui trace sa route sur l'Hudson, se côtoient une multitude de personnages, dont Mark Siegel restitue finement les rapports, ainsi que ceux qu'ils entretiennent avec quelques autres restés à terre, telle Pearl, la femme handicapée d'Elijah Twain. Il y a le personnel de bord - machinistes, pilote ou femmes de chambres -, les passagers plus ou moins pittoresques, et bien sûr leurs épouses délaissées, que Dieudonné Lafayette séduit sans faiblir à une échelle quasi industrielle. Il y a enfin un étrange écrivain, réputé spécialiste des sirènes et de leur chant.

Mark Siegel soigne ses ambiances sombres ou mélancoliques, optant pour ses personnages pour un trait plus stylisé, volontiers rond et sensuel, qui leur donne rythme et vivacité. Il livre ainsi un ouvrage plein de poésie et d'inventivité.