"L'écrivain sans visage", quatrième. Depuis la publication en 2008, chez Gallimard, du très beau Théorème d'Almodóvar, les traits, voire l'identité réelle d'Antoni Casas Ros font l'objet de toutes les supputations. Largement entretenues, lors de ses rares interviews, par le goût revendiqué de l'auteur pour l'ombre propice des hétéronymes. Chroniques de la dernière révolution, son nouveau livre (le quatrième donc, mais le troisième roman) ne devrait pas contribuer à dissiper le mystère. Casas Ros y dévoile de nouveaux pans de son talent où la "poétique du désastre" qui singularise son univers cohabiterait cette fois-ci avec une fiction spéculative, politique, volontiers nihiliste.
Soit donc, de nos jours, ou au moins dans un futur proche, une organisation secrète de jeunes gens, les "flying freedom", essaimant ses membres dans tout le monde occidental, cultivant pour communiquer entre eux le secret qu'autorisent paradoxalement les réseaux sociaux et notre "village global", se donnant le chaos comme méthode et horizon, et comme mode opératoire le suicide collectif en se jetant dans le vide du haut des buildings des mégalopoles... Seuls réchappent au carnage les "chroniqueurs", tout aussi jeunes et chargés non seulement de chanter la geste de leurs congénères, mais aussi d'écrire le monde tel qu'il ne va pas, tel qu'il n'ira plus jamais.
Chroniques de la dernière révolution, c'est un peu comme si les obsessions de James Graham Ballard avaient fait leur nid dans un roman de la défunte collection "Signes de piste" ! Le tout, sous le regard complice de Rodrigo Fresán... Flamboyant, lyrique, fiévreux, parcouru à chaque page d'une tension érotique et édénique, cet opus magnum de Casas Ros revendique d'abord, en fait de révolution, un état d'insurrection poétique. Quels que soient son âge ou son visage, une chose demeure certaine : cet élan-là est celui de la jeunesse.