Ainsi qu’il en a pris l’habitude dès les débuts de sa carrière avec Rainbow pour Rimbaud, paru en 1991 chez Julliard, qui est toujours son éditeur depuis, Jean Teulé aime à s’attacher à un personnage du passé, souvent un écrivain - Rimbaud, donc, puis Verlaine, Villon, et aujourd’hui Abélard -, pas toujours moralement irréprochable ni politiquement correct, afin d’en revisiter l’histoire à sa façon. En mêlant son grain de sel très personnel, sa vision décomplexée, sa gouaille, plus quelques anachronismes volontaires, à une documentation globalement sérieuse. Teulé, de toute façon, ne nourrit aucune ambition académique. Il souhaite simplement apporter à son lecteur un vrai plaisir romanesque, non sans le faire réfléchir sur tel ou tel sujet délicat, ou redécouvrir quelque chose. L’entreprise, on le sait, fonctionne parfaitement, puisque l’auteur d’Héloïse, ouille !, son quinzième roman, est l’un de nos écrivains les plus lus et les plus populaires.
Le voici qui revisite l’histoire d’amour, authentique mais mythique, entre Pierre Abélard (1079-1142), philosophe et théologien illustre en son temps, presque 40 ans au moment de leur rencontre, avec la jeune Héloïse, nièce du chanoine Fulbert à qui, orpheline, elle a été confiée. Sans méfiance aucune, celui-ci introduit le loup dans la bergerie, et le barbon auprès de la bachelette en tant que précepteur. S’ensuivront des amours torrides, qui constituent la première partie de leurs aventures et du roman de Jean Teulé. La plus débridée, on s’en doute. "Merde à l’amour courtois, les temps changent", proclament les deux tourtereaux, qui ne se dissimulent guère. Héloïse aura même un enfant, Astrolabe. Mais l’oncle abusé exercera sur Abélard une terrible vengeance. Il le fait castrer par des sicaires. Puni par là où il a péché, le malheureux va faire en quelque sorte amende honorable, se repentir et mener, durant le reste de sa longue vie, une existence pieuse, studieuse, mais périlleuse : ses idées, ses livres lui vaudront nombre de persécutions, avant qu’il ne regagne le giron de l’Eglise et ne finisse ses jours à l’abbaye de Cluny. Héloïse, elle, telle que l’imagine Teulé, quoique abbesse également, était restée plus rebelle, plus sensuelle, plus rock’n’roll. C’est un joli personnage pour une histoire enlevée, trépidante, truculente, picaresque. "S’offusquera qui voudra", intervient à un moment le romancier, face à son héroïne délurée, laquelle exige crûment de son partenaire réciprocité et égalité absolues dans le déduit. La première féministe ? Jean-Claude Perrier