« Le réel c'est quand on se cogne. » Tel pourrait être le leitmotiv d'Alexandre Civico. L'éditeur d'Inculte cultive des personnages rongés par une colère sourde, explosive (voir La terre sous les ongles ou La peau, l'écorce). Il nous entraîne cette fois de l'autre côté de l'Atlantique. « Welcome to Atmore », un coin aussi paumé que ses habitants. « J'étais descendu dans l'intestin de la terre, un cloaque », déclare le narrateur qui a besoin d'y voir son miroir, après les affres de la dépression. « Mon âme avait disparu. J'aurais aimé tomber. Mais j'avais seulement chancelé. » Que vient-il chercher ici ? A travers lui, Civico dresse le portrait de « la vraie » Amérique, « avec sa peau grenue, ses vergetures et son fond de teint mal étalé. Tout est faux, tout le temps. » Or dans cette boîte de Pandore règnent la misère, les inégalités sociales et migratoires, l'ennui, le racisme, la solitude et l'alcool.
Un peu boiteux, le Français joue au sauveur pour mieux cacher son drame. Aussi soutient-il Moe, dont le fils croupit en prison, ou Eve, « une pute camée mexicaine », née du bon côté de la frontière, qui refuse le statut victimaire. Cette « dreamer aux yeux orangés » déborde de vie, comme si son temps était compté. Le narrateur se situe, lui, dans le mouvement inverse : « La mort. Je suis venu m'en approcher. Aussi près que possible. » Dans ce roman, mordant et percutant, tout le monde se heurte à une impasse. Alexandre Civico y explore subtilement « les peintures de guerre de l'enfance. Ses médailles », qu'on traîne en soi comme un boulet. L'écriture trifouille le fond des êtres. Un style télégraphique magnifique qui parvient à « faire chanter la douleur ».
Atmore, Alabama
Actes Sud
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 16,50 euros ; 160 p.
ISBN: 9782330125493