Teresa Cremisi - J’ai beaucoup écrit lorsque j’étais en Italie, des préfaces, des traductions - je suis la traductrice en italien de Benjamin Constant, de certains Flaubert, de l’abbé Prévost. J’ai été journaliste, dans le secteur culturel, et j’ai fait de la critique littéraire à L’Espresso et à la radio pendant des années. Mais c’est vrai, c’est mon premier roman. La faute en revient à un éditeur, Olivier Frébourg, qui m’a donné confiance et m’a convaincue.
Ce titre, c’est un jeu. Je le trouve tonique et effronté. Même s’il ne correspond pas à l’état d’esprit de la narratrice qui ne se sent pas du tout "triomphante". Comme on l’apprend dans le texte, c’est en fait le nom d’une corvette du XIXe siècle. Ma narratrice se rêvait en amiral, ce qui n’est pas forcément mon cas. Mais moi j’ai vraiment rêvé, à partir des dessins d’un marin, Ed Jouneau, qui s’est embarqué dans sa jeunesse sur ce vaisseau et a sillonné les océans à une époque flamboyante. Toujours avec son crayon.
Le lecteur peut être troublé par le mélange d’éléments clairement biographiques et de notations purement romanesques. Pourquoi ce choix de brouiller les pistes ?Une narratrice qui n’est pas tout à fait soi permet toutes les libertés. Bien que je n’aie pas connu la guerre en Egypte (je suis née après… je n’ai pas 80 ans comme mon personnage à la fin du livre…), j’essaie d’évoquer une époque, celle de l’Alexandrie des années 1930-1940, des personnes qui vivaient en équilibre, tranquilles au bord d’un gouffre. Cela peut, je l’espère, parler à d’autres qui ont vécu des moments d’histoire sans savoir ce qui allait se passer pour eux et leurs enfants. Mais écrire, c’est aussi composer, se laisser porter par l’imaginaire. La deuxième partie est en effet plus inventée.
Vous faites revivre un monde perdu, où l’on possède plusieurs passeports et où l’on ne sait pas très bien de quelle nationalité l’on est. En êtes-vous nostalgique ?
L’identité et les exils sont en effet au cœur du livre. Mais, cela va peut-être vous étonner, aujourd’hui je ne me pose plus de questions. Je ressens une indifférence plutôt joyeuse.
Le portrait que la narratrice fait d’elle-même n’est guère flatteur. Mais il ressemble à celui que font de vous vos détracteurs : "J’étais devenue celle que je n’aurais pas dû devenir. Jamais triomphante, toujours prudemment dissimulée ; jamais fière et directe, toujours un ton en dessous et slalomeuse…"
Je ne le trouve pas si négatif que ça. Il y a des moments de la vie où il faut s’adapter. S’adapter est indispensable pour survivre… Je ne jetterais la pierre à personne. Même pas à ma narratrice.
La vie professionnelle de ma narratrice n’est vraiment pas la mienne. Je fais un des plus beaux métiers du monde, extrêmement romanesque. On s’approche tellement de la création que c’est le romanesque même. Je ne l’ai pas traité ; et peut-être que je n’aurais pas su le traiter. Mon héroïne a plus de contraintes : chaque fois qu’elle veut faire quelque chose, on lui fait faire autre chose. Elle a toujours le sentiment déstabilisant d’être à contre-emploi. Moi, j’adhère à mon métier. Il y a eu des moments passionnants, joyeux, forts, héroïques, difficiles. Et pourquoi cette enquête du vrai et du faux ? Elle n’a pas eu d’enfants non plus, la pauvre ! J’adore les miens !
C’est la fin d’une tranche de vie qui a duré dix ans, une tranche de vie pleine, passionnante et compacte. J’arrêterai de diriger le groupe Flammarion à partir de la prochaine assemblée générale qui aura lieu début juin. Il appartient à Antoine Gallimard de décrire l’organisation qui se mettra en place à ce moment-là et qui se dessine depuis quelques mois. Elle obéit à sa vision d’un groupe éditorial riche de très belles maisons, qui doivent rester intellectuellement indépendantes, mais s’appuyer sur un socle unique et efficace. C’est un chantier ardu, mais déjà bien engagé. Antoine connaît bien les risques de l’uniformisation : il les évitera ! Cela dit, je ne quitte pas pour autant Flammarion et continuerai à travailler pour les auteurs qui me sont proches et avec les équipes éditoriales auxquelles je suis très attachée. Je ne veux pas quitter cette maison, qui ne s’est pas mal débrouillée ces dernières années.
Oui, c’est vrai. C’est drôle et rassurant, non ? Le livre de Michel Houellebecq, en sorties de caisse, export compris, atteint des ventes de 560 000 exemplaires, plus 28 000 en numérique. Mais il y a aussi Temps glaciaires de Fred Vargas, qui retrouve ses si nombreux auteurs et en captive de nouveaux, Cosmos de Michel Onfray…
Beaucoup d’autres encore, même en dehors du domaine Littérature (j’attends entre autres un livre "politique" de Franz-Olivier Giesbert). L’important maintenant, c’est de continuer à faire ce que j’aime, mon travail d’éditeur, en harmonie et en liberté. Je rempile pour trois ans au conseil d’administration de RCS MediaGroup où je suis entrée l’année dernière. C’est un conseil entièrement renouvelé, qui s’appuiera sur quatre comités. J’aime bien ces très gros bateaux. Ils me font un peu peur, on a l’impression que tout tangue avec eux. Mais ce sont des univers passionnants. RCS MediaGroup contrôle deux des plus grands quotidiens européens, le Corriere della Sera, et El Mundo en Espagne.
C’est sympathique un oursin, non ? Bon, je ne suis pas encore tout à fait comme ça. Je vous rappelle que mon personnage a presque 80 ans à la fin du livre. Moi, je suis encore un peu remuante !