Un homme meurt. Quatorze mois durant, il meurt. Jour et nuit, dans quatre services hospitaliers différents, cet homme à qui tout fut promis, la joie d’une vie professionnelle et personnelle accomplie, se voit tout retirer, chevalier pâle des limbes errant au royaume des ombres. Un accident neurologique aussi grave que rare qui le prive de son corps dans le même temps qu’il aiguise la perception du manque, qui ouvre les vannes du cauchemar d’un terrifiant « entre-deux », le tue et le ressuscite, le réinvente.

Cet homme abattu, c’est (c’était ?) Boris Razon. Ce jeune homme doué, directeur des Nouvelles Ecritures et du Transmedia chez France Télévisions, pressenti pour prendre la direction de France 4, réputé très proche de Bruno Patino, est aujourd’hui considéré comme l’un des hommes clés du nouveau paysage audiovisuel français. Il était encore rédacteur en chef au Monde.fr lorsqu’il fut brutalement frappé par la maladie. Ne nous y trompons pas, Palladium, le livre par lequel il rend compte de cette expérience terrifiante de dépossession de soi, n’est pas qu’un compte rendu clinique, une autofiction à l’heure du désastre, mais bel et bien un roman. Après tout, la maladie parfois ne laisse d’autre choix au malade qu’une espèce de « schizophrénie de première urgence » et Boris Razon ici est double, narrateur et personnage. Comme il est rappelé dès les premières pages, le mot « palladium » signifie tout ce qui est garant de la conservation d’une chose. Pour l’auteur comme pour le patient, ce sera donc l’écriture, seule garante d’une organisation minimale et a posteriori de son chaos intime. Le livre de Razon n’est pas sans susciter des échos du Mars de Fritz Zorn (Gallimard, 1979) pour sa dérive presque onirique vers un hors-champ du réel et de la représentation, mais aussi au récent Réanimation de Cécile Guilbert (Grasset, 2012), pour le sujet bien sûr, et pour sa volonté de créer des effets de sidération face à la maladie et au monde médical, qui sont autant d’effets de style. Sans doute, Boris Razon a-t-il dû abandonner sur ses lits de douleur quelque chose de lui. Mais, c’est ainsi, en « se jouant la peau », que naissent et renaissent les écrivains. Olivier Mony