Ne croyez pas que je veuille « faire croquemort ». Ni ici, ni ailleurs. Mais les grands hommes s’abattent ces jours-ci, comme chênes par temps de tempête. D’autres ont dit, ici ou ailleurs, leur sentiment de manque au départ de Troyat et de Baudrillard. Mais après Noël Copin, je voudrais dire ma peine à la mort de Pierre Moinot. La vie m’avait permis de le croiser et je veux lui rendre hommage. Lui dire merci serait mieux venu. Pierre Moinot, je l’ai rencontré dans un appartement haut perché rue du Cherche-Midi. Cet homme de culture - il fut conseiller au cabinet de Malraux, le ministre de la culture du général De Gaulle, puis directeur des Arts et lettres, ouvrant la première des Maisons de la culture, remettant de l’ordre à la Cinémathèque -, ce haut fonctionnaire qui fut président de la Cour des Comptes avec force hermines, était d’abord un militant après avoir été un résistant. C’est chez lui que se réunissait notre groupe d’Amnesty International, sous le regard noir mais plein de tendresse de Madeleine, sa femme. Décoré, honoré, respecté (car très respectable), Pierre se creusait la tête pour trouver une formule qui convaincrait quelque dictateur analphabète de relâcher un prisonnier de conscience. A l’occasion il ouvrait son carnet, les lunettes sur le nez, pour trouver quel grand personnage pourrait intervenir en faveur d’un de nos protégés. Pierre était chasseur. Pas un viandard, un mystique. Et les jeunes cons que nous étions, ennemis de ceux qui tuaient les animaux que nous mangions sans remords, ont découvert cela dans ses livres de La chasse royale au Guetteur d’ombre (Gallimard) qui obtint le prix Femina 1979. Cet homme de la grande culture française connaissait le monde. Il nous racontait à l’occasion comment il avait descendu le fleuve Congo pour Paris-Match ou parcouru de nombreux pays dans les pas de Malraux. Plus tard, alors que j’étais devenu critique littéraire , il me surprit encore en publiant, à 73 ans, un excellent polar à la Noire ( Attention à la peinture ). Il me remercia d’un mot plein de délicatesse pour mon papier et ce n’est qu’après que j’ai su qu’il ne voyait plus guère. Mais malgré mon envie de le revoir, la vie qui s’enfuit comme sable entre nos vies ne nous a pas permis de nous retrouver une dernière fois. C’est pour cela et pour bien d’autres choses que je dois alors confesser notre vraie dernière rencontre. Pierre qui n’avait rien d’un mondain, ni d’un vaniteux, fut élu à l’Académie française. Nous en eûmes, avouons-le, un peu honte. L’œil amusé, les bras grands ouverts, il invita tout son groupe d’Amnesty à l’Académie. Chacun y alla de sa cravate bouchonnée, de sa petite robe noire froissée. Au buffet il délaissa vieilles ganaches, écrivains au masque coulé dans le bronze le plus pur et tous ces Immortels qui semblaient déjà bien faibles pour le rôle, pour venir voir les jeunes cons qui se serraient dans un coin soucieux de se faire oublier. Une plaisanterie sur son bel habit vert, que Pierre, tout à son bonheur d’enfant, n’entendit pas. Il sortit son épée et nous montra sur sa poignée un dessin très fin, à peine visible. La petite bougie entourée de barbelés, symbole d’Amnesty. Maintenant que Noël Copin est enterré, le journalisme mérite d’être réinventé. Maintenant que Pierre Moinot s’en est allé, on peut fermer l’Académie. Elle ne sert plus à rien. PS : Et dire, selon quelques rumeurs, que d’aucuns envisageraient déjà d’en créer une nouvelle… Voyons voir jusqu’où ira le ridicule.