6 novembre > Mémoires Hongrie

Né en 1900 à Kassa, une ville hongroise annexée à la Tchécoslovaquie après la Première Guerre mondiale, Sandor Marai a mis fin à ses jours à 89 ans, à San Diego en Californie, quarante et un ans après avoir définitivement fui son pays natal. Cette donnée biographique serait superflue si elle ne jetait une lumière particulière sur la lecture du dernier livre de l’écrivain, traduit en français par Catherine Fay chez Albin Michel, principal éditeur de son œuvre. Car Ce que j’ai voulu taire n’est pas un roman mais le troisième volet des Confessions d’un bourgeois, les Mémoires de Marai. En outre, c’est un récit inédit que l’on a cru perdu et qui n’a été publié qu’en 2013 en Hongrie.

L’écrivain y revient sur une période charnière de l’histoire de son pays et de sa propre vie, dix ans de 1938 à 1948, de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, au 31 août 1948 où Sandor Marai et sa famille franchissent le rideau de fer et quittent la Hongrie devenue satellite de l’URSS. Dix années de bascule, de changement de monde dont Marai témoigne rétrospectivement dans la position du "citoyen contemporain des faits", empli d’un attachement intime à ce "pays à l’histoire millénaire", occupé pendant cent cinquante ans par les Turcs aux XVIe et XVIIe siècles, amputé, par le traité de Trianon, du territoire de la Haute-Hongrie et de Transylvanie après la Première Guerre mondiale.

Ces Mémoires, qui ne prétendent pas à la véracité historique, ne sont pas non plus un livre d’auto justification. La lucidité incisive de Marai est marquée d’un profond désenchantement, d’une déception sans consolation, et c’est avec un effort d’honnêteté constant qu’il décrit l’effondrement des valeurs culturelles de la bourgeoisie hongroise et plus largement la faillite d’une Europe intellectuelle et cultivée à laquelle il appartenait. Il fait renaître non sans ironie l’homme de 38 ans qu’il était alors, "écrivain et journaliste à la mode dans un petit pays d’Europe centrale", cet "écrivain bourgeois hongrois" qui écrivait depuis des années, chaque jour, ses 35 lignes manuscrites avant d’aller se promener avec son chien sur les collines de Buda. Le journaliste sans mauvaise conscience, publié par un "grand journal libéral" militant pour la révision du traité de Trianon… Antifasciste dans un milieu bourgeois qui, en 1938, note-t-il, était majoritairement sensible aux idées nationales-socialistes, Marai sera ensuite stigmatisé comme "ennemi de classe" quand les communistes seront installés au pouvoir. Mis à l’écart de tous bords. Pourtant, loin de la Hongrie, il restera pour toujours lié à sa langue, son unique langue d’écriture, et à l’esprit hongrois tel qu’il le décrit dans ce récit passionnant,"une nonchalance douce-amère et joyeusement décadente"Véronique Rossignol

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