« C'est la fête des mères-euh, c'est la fête des mères-euh ! », lance Alice à Pétra. Sauf que cette dernière n'est pas la mère d'Alice et Arthur mais leur belle-mère, la femme de leur père, leur marâtre, disait-on jadis dans les contes de fées. Sauf que, là encore, c'est décalé, inversé. L'épouse de celui que la narratrice de Précipitations de Sophie Weverbergh appelle « le clown » ne maltraite pas la progéniture du premier lit de son mari. C'est elle, Pétra, la martyre du logis, obligée de s'occuper de cette marmaille sempiternellement insatisfaite. Debout dans la cuisine, au fourneau, devant l'évier, où elle excelle à la vaisselle, suivant les instructions de sa propre mère qui lui avait appris à laver impeccablement les assiettes, l'héroïne de ce premier roman nous plonge dans son quotidien domestique.
Pétra n'arrive pas à tomber enceinte, son ventre s'arrondit sans pouvoir donner naissance au moindre bébé. La « nullipare » se trouve tout simplement nulle : elle a du mal avec cet univers ménager auquel elle est condamnée, la sociabilité des parents d'élèves qu'on doit subir lorsqu'on va chercher les enfants à l'école. Toujours en retard, et pas que d'un train, en retard d'une guerre, d'une vie. Bref, elle a tout simplement du mal avec le concret de l'existence : « Exception faite des livres, les choses - je veux dire les objets tridimensionnels, réels, en dur - me touchent peu (ou trop durement précisément). Point de snobisme là-dedans ; je ne suis pas matérielle voilà tout. »
Puis, un jour, elle attend enfin l'enfant de ce marbrier, clown à ses heures, qui, à la Sainte-Cécile, sainte patronne des musiciens, était venu faire son petit numéro pour égayer la fête annuelle de l'orchestre villageois dans lequel Pétra jouait. Qu'est-ce qu'être véritablement mère ?, est en droit de se demander celle qui aurait voulu l'être aussi d'une œuvre. Le désir d'enfant est-il compatible avec celui d'écrire ? L'enfant est-il votre propre désir, ou celui-ci est-il inoculé par la société qui vous assigne à la maternité ? Telle est la question que la primo-romancière pose de manière subtile, voire subreptice. Car pour désamorcer l'imbroglio existentiel de son héroïne rongée par ses problèmes de grossesse, entre maternité et déni de soi, Sophie Weverbergh use d'un style névrotiquement truculent, à la verve grinçante. Et signe un formidable roman sur l'insoutenable gravidité de l'être.
Précipitations
Verticales
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 € ; 272 p.
ISBN: 9782072950094