Entretien

Sophie Fontanel, autrice et journaliste mode à L'Obs: "C'est chic, la littérature"

Sophie Fontanel - Photo DR

Sophie Fontanel, autrice et journaliste mode à L'Obs: "C'est chic, la littérature"

"Quand Kim Jones fait appel à Jack Kerouac, c'est la condition de sa survie intellectuelle.". Sophie Fontanel, auteure de Capitale de la douceur, paru en octobre dernier chez Seghers, analyse le lien entre mode et littérature.

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Par Marine Durand
Créé le 01.03.2022 à 10h50 ,
Mis à jour le 24.03.2022 à 15h23

Les maisons de couture qui s'emparent de la littérature, c'est vieux comme le monde ou c'est la dernière tendance dans la mode ?

Mon impression globale au contraire, c'est qu'il y a de moins en moins de littérature dans la mode. J'ai sous la main le numéro des 100 ans de Vogue. À l'époque, Jean Cocteau, Colette écrivaient pour le magazine. Françoise Sagan ou Patrick Modiano aussi, et Coco Chanel faisait travailler absolument tous les écrivains qu'elle avait autour d'elle pour son matériel publicitaire. Ce rapport à la littérature a été très fort, et j'ai l'impression qu'il y a encore du travail avant de retrouver ce niveau. Je suis toujours étonnée de voir à quel point les gens ne lisent pas dans ce milieu, même si de rares figures comme Sonia Rykiel ont réussi à faire le pont entre les deux mondes. À une époque, la maison Rykiel a transformé sa boutique de Saint-Germain-des-Prés en immense bibliothèque, et y a organisé plusieurs défilés. La créatrice voulait proclamer son amour, sincère, du livre. D'ailleurs, je n'ai jamais vu autant d'écrivains à des défilés que chez Rykiel !

L'initiative de Chanel, avec ses rendez-vous littéraires, n'est-elle qu'une opération marketing ?

Ce qu'a fait Chanel, c'est intéressant, et cela a le mérite d'exister. Mais je trouve ces rencontres littéraires très policées. J'ai lu certains des ouvrages conseillés, Les inséparables par exemple,un court livre de Simone de Beauvoir. La sélection n'est pas mauvaise, mais je ne retrouve pas la rugosité que j'adore quand un écrivain parle de son travail. Ils ont une égérie, Charlotte Casiraghi, qui adore la littérature. Elle est très studieuse, ravissante, et ils lui ont donné cette opportunité car c'est aussi une histoire d'image. Mais ce n'est pas ça que j'attends comme discours sur les livres. La littérature ce sont des textes, lus, comme Augustin Trapenard peut très bien le faire, ou ce sont les mots balbutiants d'un écrivain qui raconte ce qu'il a voulu faire. C'est tout de même une drôle d'idée de ce qu'est un salon littéraire, ces femmes habillées en Chanel qui parlent des livres des autres.

Et lorsque les stylistes basent leur défilé sur une œuvre littéraire, ou un auteur, quel est le message ?

La situation des directeurs artistiques est tout autre. Prenez Kim Jones, directeur des collections Homme chez Dior, qui a choisi de célébrer Jack Kerouac dans l'un de ses derniers défilés. C'est un érudit, un homme qui lit vraiment. Comme John Galliano d'ailleurs. Il fait marcher son imaginaire littéraire, et faire appel à Kerouac, c'est la condition de sa survie intellectuelle. Pendant longtemps les créatifs ont utilisé l'art moderne, puis ils ont fini par tomber sur le livre. N'oubliez pas que ces gens-là doivent sortir au minimum six collections par an, ils ont besoin de sources d'inspiration ! Je pense aussi à un défilé de Bottega Veneta pendant le confinement, qui s'est fait sans public, et où l'on entendait la voix de Neneh Cherry. Elle disait un texte d'une incroyable poésie sur ce que c'est de s'habiller. Sans oublier Alessandro Michele, un vrai intellectuel lui aussi. Pour Gucci, il a conçu une série en sept épisodes avec le réalisateur Gus Van Sant, à l'ambition littéraire totalement dingue. On y croise Paul B. Preciado, mais aussi un des plus grands historiens d'Italie. On est chez Duras, version moderne. On peut évidemment penser que c'est du marketing, et ça en devient fondamentalement dans ces grosses maisons, mais cela correspond surtout à des choses que les créateurs cherchent à exprimer.

On a aussi vu Celine, en 2015, choisir l'écrivaine Joan Didion, 80 ans, comme égérie de sa campagne...

Joan Didion, c'est un exemple fascinant. Ce qu'elle écrit est beau, précis, noir, près du nerf. Il y a une recherche de vérité dans son écriture, mais dans la mode, peu de gens le savent. En revanche, ses photos, ses looks font partie de l'imaginaire des gens de mode. Je ne suis pas sûre qu'il y ait une passion absolue pour l'œuvre de Didion chez Phoebe Philo. D'ailleurs, elle n'a jamais expliqué ce choix. Mais cela pourrait être une piste pour les maisons de couture : certains écrivains ont une allure extraordinaire. Samuel Beckett est ainsi devenu, par le plus grand des hasards, une égérie Gucci. Il allait à la plage avec son sac Jackie sur l'épaule, il le portait tout le temps, l'image est aujourd'hui très célèbre. La mode est un monde d'images.

Verra-t-on demain une pléiade d'écrivains dans les publicités des maisons de luxe ?

Je ne sais pas. C'est chic, la littérature. Mais la question qui se pose à tout le monde, c'est « ai-je intérêt à le faire ? » En revanche, il est certain que beaucoup d'auteurs écrivent anonymement pour des maisons de couture, participent au matériel de presse, pour gagner leur vie. Moi-même il peut m'arriver de le faire, et on vous demande d'être le plus littéraire possible. Une entreprise de luxe a besoin de ces talents, de personnes qui savent écrire pour dire quelque chose d'elle qu'elle-même ne sait pas formuler. Mais au fond, ce n'est que de l'art appliqué.

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