Avant-critique Essai

Sophie Cœuré, "Georges Marchais ou la fin des Français rouges" (Payot)

Sophie Cœuré - Photo © Université Paris Cité

Sophie Cœuré, "Georges Marchais ou la fin des Français rouges" (Payot)

À travers la figure de Georges Marchais, l'historienne Sophie Cœuré brosse le portrait d'une époque, celle des derniers communistes rouges.

Parution 24 septembre

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Par Laurent Lemire
Créé le 19.09.2025 à 09h00 ,
Mis à jour le 19.09.2025 à 12h26

C'est un scandaaaale ! C'est une époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître comme le chantait Aznavour, un temps où certaines personnalités politiques s'en prenaient aux journalistes sur les plateaux de télévision, où elles venaient avec leurs réponses sans se soucier des questions, où elles cachaient la vérité par des clashs... Au fond, rien n'a vraiment changé... Mais les plus anciens se souviennent des sourcils noirs, de la mâchoire carnassière, de la gouaille surjouée et des saillies mémorables de Georges Marchais (1920-1997). Depuis l'enquête de Thomas Hofnung (Georges Marchais. L'inconnu du Parti communiste français, L'Archipel, 2001) et la brève biographie de Gérard Streiff (Marchais, Arcane 17, 2017), rien n'a été publié sur lui. Le travail de Sophie Cœuré vient à point nommé pour rappeler le demi-siècle d'engagement de celui qui fut à la tête du Parti communiste français pendant vingt-deux ans. À travers un portrait éclaté qui reprend les grands moments de sa carrière, cette spécialiste des mondes communistes à l'université Paris Cité révèle combien il a marqué la société française d'alors. Ce « léniniste de charme » - il faisait régulièrement son voyage à Moscou - avait réuni 15 % des suffrages en 1981, un temps béni pour le PCF qui est passé sous la barre des 5 % depuis les années 2000. Avec cet éparpillement façon puzzle, l'autrice de La grande lueur à l'Est (Seuil, 1999) et de La mémoire spoliée (Payot, 2007) nous invite à aller au-delà d'un homme réduit à ses petites phrases et à sa propre caricature. Elle revient sur l'épisode où le jeune métallo du Calvados âgé de 22 ans est parti travailler en Allemagne pour Messerschmitt en 1942 dans le cadre du service du travail obligatoire (STO). Un « trou noir » dans le CV de Marchais que ses ennemis - il en eut beaucoup - utiliseront avant chaque élection. Elle évoque aussi son fief de Champigny-sur-Marne où il se remarie avec Liliane Grelot, puis cette image de macho qui lui collera à la peau à la suite du fameux « Liliane, fais les valises, on rentre à Paris » quand il apprend sur son lieu de vacances en Corse que Mitterrand renonce au programme commun de la gauche en 1977.

Marchais entre en politique dans une Europe divisée par le rideau de fer. Cela restera son univers mental. Il ne comprendra ni la glasnost (« transparence ») ni la perestroïka (« réforme ») de Gorbatchev. Il est victime d'une crise cardiaque en 1990, après la chute du Mur. Quatre ans plus tard, Robert Hue lui succède. En 1997, il décède et est accompagné selon ses dernières volontés au cimetière de Champigny sur des notes de Miles Davis, lui qui ne jurait officiellement que par Gérard Lenorman. Marchais a-t-il perdu le peuple ou bien le peuple a-t-il perdu Marchais ? Peut-être est-ce une explication au fait que son nom a disparu de l'espace public, y compris dans les municipalités tenues par le PCF. Fut-il, comme l'affirme Sophie Cœuré, « le dernier des communistes » ? Le dernier en tout cas dont on se souvient encore et qui figure encore au catalogue de quelques imitateurs.

Sophie Cœuré
Georges Marchais ou la fin des Français rouges
Payot
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 € ; 250 p.
ISBN: 9782228939690

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