On tombe dans cet album comme dans un moment de grâce. Les étranges petites filles qui le peuplent de leurs grands yeux rêveurs et mélancoliques n’auraient sans doute pas déplu à Gérard de Nerval, cité en exergue. « Le rêve est une seconde vie », telle est bien l’expérience que vit la jeune héroïne. Le jour de son anniversaire, elle joue à cache-cache avec ses amies. Mais dans la forêt toutes les voix peu à peu se taisent et les premières gouttes de pluie tombent sur sa robe. L’orage éclate et au beau milieu apparaît la reine de la nuit, dont le regard est fixe comme une menace. Heureusement, les songes vont aussi vite que le vent et la créature maléfique est bientôt remplacée par une petite fille aussi blonde que la première était brune. Un sourire plus loin, l’amitié est scellée. Seulement voilà, la reine de la nuit veut garder auprès d’elle sa petite prisonnière. L’amie ne reculera devant aucun sacrifice pour revoir la jeune fille qu’elle vient de rencontrer.
Explorant le monde du rêve, cet album traite de l’amitié et du don de soi. Les peintures de Pierre Mornet, un illustrateur dont les jeunes filles au regard dense et triste s’exposent dans les galeries françaises et américaines, sont envoûtantes. L’artiste signe ici son premier texte. Saluons ce coup d’essai. Chaque page nous absorbe, on s’abîme corps et âme, ici dans la grâce d’une silhouette, là dans les plis d’une robe, la courbe d’une épaule ou l’ovale d’un visage.
Fabienne Jacob