C’était le livre coup de poing de la rentrée 2015. Illska, le mal, première traduction en français de l’Islandais Eirikur Orn Norddahl, un "roman monde", largement ouvert aux vents de l’Histoire et à la démesure de son récit. L’auteur y jouait de tous les registres, orchestrant un chaos magnifique. Un grand romancier moderne (par ailleurs, traducteur dans son pays de Jonathan Lethem) était né, restait à voir comment il allait grandir et si ce livre, écrasant, n’allait pas être à lui seul toute l’œuvre.
La réponse nous parvient aujourd’hui sous le titre Heimska, la stupidité. Elle devrait dissiper les légitimes inquiétudes de ses lecteurs. De quoi est-il question dans cette fable plus mince, mais pas nécessairement moins ambitieuse ? Dans un futur proche, alors que le soleil ne se couche jamais sur l’Islande et Isafjordur, d’un couple d’écrivains, Aki et Lenita. La révélation d’une troublante similitude entre leurs deux derniers livres, que chacun impute à l’autre, les a amenés à se séparer. Séparation purement formelle, de corps tout au moins - même si, depuis, aucun des deux ne veut laisser ignorer à l’autre, via webcam, ses expériences sexuelles -, mais pas dans leurs pensées qui les ramènent sans cesse au conjoint en allé. Le tout dans un monde triste et beau, une société de surveillance généralisée, un étrange phalanstère installé dans une ancienne usine.
Norddahl mène son affaire avec une cruauté triste, les accents prophétiques (et politiques) d’un romancier pur. Pas plus que le soleil Big Brother ne se couche.
O. M.