Dans le monde qu’elle partage avec nous, Véronique Poulain s’appelle Véronique. Dans la langue de ses parents, elle a longtemps cru que c’était "Rêveuse", avant de faire lire ce texte à sa mère… En fait, elle avait mal interprété. Mal écouté avec les yeux. Car l’auteure de ce premier récit, une déclaration d’amour filial qui claque comme un baiser brusque, franche comme une accolade reconnaissante, est la fille entendante d’un couple de sourds. Bilingue, donc, avec une identité dans chaque langue. Sa langue maternelle est faite de signes et de sons mais pas de vrais silences. Car les sourds sont bruyants, affirme-t-elle avec une affection qui ne prend pas de gants, ne rhabille pas le handicap de fausse pudeur. Ils ont une voix "gutturale ou criarde" - "les sourds ne sont décidément pas muets et parfois, c’est bien dommage", ironise-t-elle -, s’expriment par râles, grognements et ne voient pas de problème à passer l’aspirateur à 8 heures du matin à proximité de leur progéniture adolescente…
Véronique Poulain raconte par tableaux son enfance auprès de ces parents vis-à-vis desquels, selon les âges, elle a nourri des sentiments très contrastés, oscillant entre "fierté, honte et colère" avant que l’admiration ne l’emporte. Elle croque ainsi sa famille extraordinaire : ses trois cousins, comme elle enfants de parents sourds. L’oncle maternel Guy, dessinateur, une sacrée personnalité. Sa mère joyeuse et affranchie. Le père, Jean-Claude, l’un des principaux protagonistes du film de Nicolas Philibert Le pays des sourds, militant actif au sein de l’association International Visual Theatre (IVT) pour la reconnaissance de la culture sourde et la défense de la langue des signes, devenu professeur de cette langue extrêmement imagée, physique, que l’auteure tient pour la plus expressive et la plus crue qu’elle connaisse. Ce premier récit est enfin le portrait d’une fille aimée sans mots pour le dire, aujourd’hui finalement devenue "amie" de ce silence longtemps imposé.
Véronique Rossignol