La célèbre phrase de Sartre est gravée dans tous les esprits : « L'enfer, c'est les autres. » Surtout s'il s'agit du clan familial, dont il semble si difficile de s'extraire. Tel est le défi, a priori réussi, de Septième Selzer, un éditeur new-yorkais qui a échappé aux siens depuis une décennie. Mais un appel le ramène à ses racines profondes. Celui de sa maman mourante, aux griffes tentaculaires. « Les mères ont un goût infect. » Celle-ci est d'ailleurs surnommée Mudd (mud signifiant « boue » en anglais) par sa progéniture. Une figure autoritaire, toxique, méprisante, cruelle et égoïste à souhait. Elle se gave de burgers à longueur de journée, histoire de s'engraisser pour son ultime mission...
La première ayant été de donner naissance à douze tribus, soit d'enfanter ce nombre de créatures, qui portent pour prénom leur numéro dans la fratrie. À une exception près, l'unique fille, baptisée Zéro. Ainsi, Septième s'interroge : « Est-ce l'amour qui lie une famille ou simplement la culpabilité qui en résulte si on s'en éloigne ? » Lui qui a fui le nid questionne « le sentiment d'appartenance » à l'heure où l'autorité matriarcale s'éteint. Aucun chagrin ne l'étreint, tant l'amour avait déserté leurs relations, mais quelque chose relie néanmoins Septième aux siens. Sa mère le sermonnait d'ailleurs : « Tu auras beau te croire à part, un maillon seul n'est rien. Il ne tient rien, il ne protège rien. Tu ne seras rien. »
D'autant qu'il appartient à une communauté singulière et minoritaire, en voie de disparition, « les can-am », alias les cannibales américains. Ils ont bravé tous les dangers, les menaces et l'oppression, mais aujourd'hui, c'est surtout l'assimilation qui risque de les dissoudre. « C'est l'histoire d'une famille qui, à la mort de la matriarche, revient sur ses rêves d'intégration dans un pays qui refuse de l'accepter. » Les États-Unis n'étant pas toujours un tendre paradis pour ceux venus d'ailleurs. Afin de préserver la mémoire des cannibales, il suffit de respecter une tradition inhabituelle : manger les défunts ! Après La Lamentation du prépuce, le délirant Shalom Auslander nous entraîne vers « l'impensable, l'inimaginable, le grotesque ». Un voyage vers la liberté pour briser les chaînes qui nous emprisonnent. Bonne dégustation !
Maman pour le dîner Traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Gibert
Belfond
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 20 € ; 256 p.
ISBN: 9782714495051