Même à l’heure de la globalisation et de la vulgarisation technologique, la Corée - du Sud, bien sûr, le Nord étant figé dans un autre monde - conserve nombre de caractéristiques de l’ancien "royaume ermite" de Choson (1392-1910). Un pays "d’antique civilisation", comme disait Malraux, et de forte identité, en dépit d’une histoire chaotique marquée par de nombreuses invasions, notamment par les Hans chinois et les Japonais. Au moment où la Corée est l’invitée d’honneur du prochain Livre Paris, où le public français commence à se familiariser avec ses écrivains, quel meilleur guide, pour tenter de comprendre ce pays, qu’un jeune Français, Benjamin Pelletier ? Il a passé un an à Séoul, comme professeur à l’Alliance française, et nous en livre un récit sensible et drôle.
Sans renier ses racines cartésiennes (quoique), Pelletier s’abandonne à la puissante séduction coréenne. Il le fait d’autant plus aisément que, si l’on en croit les séquences où il évoque des souvenirs de son enfance - heureuse, semble-t-il -, ce garçon est un doux rêveur, qui ne déteste rien tant que de se voir imposer des codes, des choix de vie ou de carrière. Partir vivre un temps à l’étranger (Arabie saoudite, puis Corée du Sud), c’était un moyen de se "déconditionner", selon le mot d’Henri Michaux, autre "Asiatique" avec qui notre homme présente quelques ressemblances.
La première chose qui le frappe, dès l’aéroport, c’est la retenue, le respect, cette façon de vivre sans déranger personne, sans bouleverser la nécessaire harmonie du monde. Ce sens inné du collectif dont il voit le symbole dans le riz gluant, par opposition aux grains de blé, symboles de l’individualisme occidental. Lui, sans racines, face à ces millions de gens dont il ne connaît pas la langue, se sent "transparent", anonyme. Erreur. Il se rendra compte, parce qu’il vit dans le Séoul "du haut", le vieux quartier de Malli-dong, qui résiste encore un temps à l’urbanisation dévastatrice venue "du bas", qu’en tant que "long-nez" il est repéré, voire épié.
Le récit est riche, varié, où l’on entend comme une petite "Séoul music". Il y a aussi des scènes tragi-comiques, comme cette visite sur la frontière avec la Corée du Nord, après quoi des familles, pour oublier les drames de la partition, se saoulent au soju, l’alcool de riz local, "deux fois plus fort que le vin". Il y a enfin, pour Benjamin Pelletier, l’appréhension du retour. Mais "kaja, kaja, on y va !" Un bon Coréen ne montre pas ses sentiments. Jean-Claude Perrier