Le baseball, c’est beaucoup plus que le baseball. Pour Philip Roth, c’est Le grand roman américain (Gallimard, 1980). Don DeLillo dans Outremonde (Actes Sud, 1999), William Kinsella et son merveilleux Shoeless Joe (Christian Bourgois, 1993) ou Chad Harbach avec L’art du jeu (Lattès, 2012) lui ont emboîté le pas. Et Bernard Malamud, le maître de Roth, mais aussi le plus injustement oublié des grands écrivains américains de la seconde moitié du XXe siècle, l’avait précédé. Son premier roman, Le meilleur, paru en 1952 aux Etats-Unis et demeuré jusqu’à ce jour inédit en français (si ce n’est la belle adaptation cinématographique qu’en tira Barry Levinson en 1984 avec dans les rôles-titres Robert Redford, Glenn Close et Kim Basinger), est consacré à la gloire, la chute, la rédemption (dans un ordre aléatoire) d’un champion de baseball. Bien entendu, il n’est pas interdit de le lire comme une métaphore du rêve américain et de ses avanies.
Ce serait donc l’histoire de Roy Hobbs, à qui tout fut promis, tout fut repris. Il a 19 ans lorsqu’il quitte son Midwest natal pour Chicago et ses rêves de gloire sur le rectangle vert des stades. En chemin, dans le train qui le mène à ses rêves, il rencontre une star déclinante du baseball qu’il humilie lors d’un tournoi improvisé, un journaliste sportif matois et surtout, comme surgie d’un fantasme et à peine plus âgée que lui, la belle Harriet Bird. Les femmes sont fatales pour le jeune homme, celle-ci en tout cas qui d’un coup de revolver dans le ventre l’expédiera aux frontières de la mort. C’est donc un fantôme qui quinze ans plus tard entame, à l’heure où la plupart la terminent, une carrière professionnelle. Cette fois-ci, la gloire sera au rendez-vous, mais Roy devra composer avec les ombres du passé et se souvenir de la phrase de Fitzgerald : "il n’y a pas de seconde chance dans la vie d’un Américain"…
Au moins y en aura-t-il une pour la postérité de l’œuvre de Bernard Malamud en France puisque les éditions Rivages ont l’heureuse idée de la rééditer dans son intégralité. Première étape avec la parution conjointe de ce Meilleur inédit et celle en poche de l’un de ses livres les plus célèbres, L’homme de Kiev, qui lui valut en 1966 un Pulitzer et un National Book Award. Malamud, c’est le chaînon manquant judéo-américain entre Philip Roth et Saul Bellow. Un grand romancier de la perte, de la mélancolie, de la dépossession de soi. Un écrivain capable de varier brillamment les registres (même si, dans Le meilleur, la narration reste assez classique) et maniant l’ironie comme une arme de consolation massive. De tous nos "héros américains", Malamud était le père. Sa redécouverte tardive lui permet, à nos yeux, d’en être aussi l’héritier. Olivier Mony