Certaines choses ne changent pas. La Sicile, par exemple. Sa beauté fanée, sa lumière, sa violence, la poussière des voies de Palerme traversées par des Alfa Roméo. Et ses fleurs de trottoirs, mauvais garçons, filles de rien, anges aux figures sales. Cette cosmogonie bon marché et précieuse constitue bien plus que le décor du premier roman de Davide Enia, son énergie, sa vitesse.
Palerme donc, début des années 1980. Davidù a neuf ans. Il sait déjà tout de ce qu’il croit devoir savoir. L’algèbre de ses poings, la grammaire de la vie dans les rues. Il a de grandes curiosités et ne doute pas que de grandes réponses l’attendent. De son oncle, de son grand-père, de son père aussi, dont il est orphelin, il a hérité l’aptitude à n’être jamais plus brillant qu’entre les cordes d’un ring. Comme eux, ce sera sa grâce et sa croix. Son destin. Celui de l’oncle Umbertino fut d’échapper au sien et aux bombardements alliés entre les bras d’une prostituée. Celui du grand-père, la guerre également, dans les sables du désert africain. Une famille palermitaine traversée des ombres de la mort, du désir, du silence. Davidù évolue au milieu de ce nœud de colère et d’amour en jeune roi qui sait de toute éternité devoir régner. Et puis il y a l’amitié, une bande de vauriens, l’enfance qui se dissipe et Nina. Du jour où il la voit, Davidù sait que cette fille est son horizon. Elle le demeurera.
Davide Enia, dont c’est le coup d’essai romanesque, est un acteur et auteur dramatique bien connu en Italie. De fait, la virtuosité de ses dialogues contribue au charme puissant de son livre. Tout autant son lyrisme, la poésie, la force d’incarnation qu’il offre à ses personnages. Son tour de force, toutefois, est de peindre dans un même mouvement l’universel et le particulier. Le roman nous narre une histoire, qui serait aussi une fable, de tous temps et de tous lieux (comment, le plus honnêtement du monde, fait-on pour devenir un homme ?), mais on ne pourrait dans le même temps l’imaginer ailleurs qu’à Palerme. Cette ville qu’en son temps Edmonde Charles-Roux nous recommandait d’oublier et que Davide Enia nous offre, à la fois souillée et magnifique. Inoubliable.
Olivier Mony