Ils sont magnifiques : costume rose et chapeau rouge. Cravate ou noeud pap, et petit mouchoir fin dépassant de la poche de la veste. Tout de crème ou de noir vêtus. Des mannequins sur un podium de défilé ? Les convives d'un mariage chic et excentrique ? Non, ce sont des membres de la SAPE, Société des ambianceurs et personnes élégantes, photographiés par Héctor Mediavilla, de l'agence Picturetank, dans des rues en terre battue de Brazzaville, devant des baraques aux toits de tôle...
Le photographe a suivi pendant sept ans, dans le quartier de Bacongo et à Paris, ces élégants extravagants qui paradent dans les lieux publics. Et ce livre est un hommage à ce mouvement né dans les années 1920, coloniales, chez les Congolais des deux rives, au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) et au Congo (devenue République du Congo), qui, loin de ne regrouper que des dandys soucieux de s'exhiber, représente en Afrique un mode codifié d'expression politique et sociale. La SAPE est un théâtre où l'habit seul ne fait pas le sapeur. Comme l'observe l'écrivain Alain Mabanckou, dont la présentation en forme de question - "Indépendance du corps ou aliénation culturelle ?" - pointe les paradoxes de cet art de vivre, "la touche personnelle" dans le style est indispensable. Ce savoir-paraître se nourrit d'un rêve : se rendre à Paris, La Mecque du sapeur, et retourner au pays en prince du look. Mais ce rêve de reconnaissance est longtemps passé par une métamorphose du corps ambiguë, les sapeurs allant jusqu'à s'imposer de dangereux traitements de blanchiment de la peau, pour se conformer à un idéal de beauté européen. Sous des apparences de luxe sophistiqué et de frivolité, le sapeur est un artiste à message qui fait ressembler tous les autres hommes à "des taureaux sans allure".